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meilleur moyen de réveiller l’esprit français ; elles seraient des écoles de sérieux, d’honnêteté, de patriotisme. Là se fonderait la vraie liberté de pensée, qui ne va pas sans de solides études. Là aussi se ferait un salutaire changement dans l’esprit de la jeunesse. Elle se formerait au respect. « Il est reconnu que nos écoles sont des foyers d’esprit démocratique peu réfléchi et d’une incrédulité portée vers une propagande populaire étourdie. C’est tout le contraire en Allemagne, où les universités sont des foyers d’esprit aristocratique, réactionnaire (comme nous disons) et presque féodal, des foyers de libre pensée, mais non de prosélytisme indiscret. D’où vient cette différence ? De ce que la liberté de discussion, dans les universités allemandes, est absolue. Le rationalisme est loin de porter à la démocratie. La réflexion apprend que la raison n’est pas la simple expression des idées et des vœux de la multitude, qu’elle est le résultat des aperceptions d’un petit nombre d’individus privilégiés. Loin d’être portée à livrer la chose publique aux caprices de la foule, une génération ainsi élevée sera jalouse de maintenir le privilège de la raison ; elle sera appliquée, studieuse, et très peu révolutionnaire… »

Telle est au résumé l’argumentation, j’allais, moi aussi, dire le rêve de M. Renan. N’est-ce pas un rêve, en effet, un rêve de moine laïque que cette espérance de résurrection du vieil esprit français, de reconstitution des solides qualités qui furent autrefois celles de notre race, par la seule vertu d’un meilleur groupement de nos facultés ? C’est bientôt dit : Nos écoles spéciales sont presque toutes plus ou moins atteintes de fanatisme irréligieux, supprimons-les. Notre jeunesse est sceptique et révolutionnaire ; elle a perdu non-seulement la foi, mais le respect ; au lieu d’être comme en Allemagne une digue contre l’invasion des idées démagogiques, elle en est le plus actif auxiliaire ; donnons-lui les universités, la culture et le système allemands, et le problème sera résolu. En apparence, oui, peut-être. Tout de même que nous avons pris à nos voisins leurs canons, leur recrutement et leur vilain képi, pareillement, nous pouvons leur emprunter leurs méthodes et leur organisation scolaire. Mais ensuite et après ? Leur avons-nous pris, leur prendrons-nous jamais leur discipline, leur manière d’être et leur tournure d’esprit ! Essaierons-nous de refaire par des moyens factices ce que le temps a détruit ? Réussirons-nous à transporter sur notre sol crevassé par tant de secousses des institutions que la France d’il y a cent ans se refusait à porter ? J’avoue qu’ici j’ai de grands doutes. Matériellement, d’abord, et dussions-nous y consacrer des sommes énormes, on ne se figure pas bien cinq ou six grands centres universitaires en France. En Allemagne, grâce à la persistance des traits et des