Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pèce, une fois créée, avait dû rester immuable dans ses traits les plus essentiels.

L’idée de durée étant inconnue à Linnée, il est tout simple qu’il ait édifié ses théories en dehors d’elle ; ce qui est moins compréhensible, c’est que, depuis la mise en pleine lumière de cette notion par les géologues, elle n’ait pas influé davantage ou, pour dire mieux, elle ait influé si tard sur les tendances de ceux qui, devenus familiers avec elle, se préoccupaient en même temps de la définition de l’espèce. — Comment apparaissait l’espèce à Buffon ? On voit, par divers passages de l’Histoire naturelle, qu’il admet dans la nature vivante des degrés et des passages s’opérant par nuances insensibles ; mais, pour lui, cette nature vivante, dans sa puissante unité et à travers son inépuisable variété, se manifeste nécessairement par la génération, au moyen de moules préexistans d’où sortent les individus avec une empreinte plus ou moins fixe, plus ou moins nette et immuable ; mais d’autant plus fixe qu’il s’agit d’espèces plus élevées en dignité, d’autant plus effacée et multiple que l’on descend plus bas dans l’échelle des êtres et surtout que, des animaux inférieurs, on marche vers les plantes. De là le caractère essentiellement relatif et inégal de l’espèce. De là, chez Buffon, une tendance à se défier des classemens, dont le résultat dernier est toujours d’établir des formes spécifiques, supposées égales et équivalentes, que l’on s’adresse aux catégories les plus élevées aussi bien qu’aux plus basses et aux dernières de la création. Dans son discours sur les animaux communs aux deux continens, il insiste particulièrement sur cette fixité, plus prononcée chez les quadrupèdes que chez les oiseaux et les poissons, tandis que, si l’on descend jusqu’aux insectes et, après eux, jusqu’aux plantes, « on sera surpris de la promptitude avec laquelle les espèces varient et de la facilité qu’elles ont à prendre de nouvelles formes. » Plus loin, développant la même pensée dans sa seconde vue de la nature, il ajoute : « Les variétés constantes et qui se perpétuent par les générations n’appartiennent pas également à tous ; plus l’espèce est élevée, plus le type est ferme. » Au fond, cela veut dire que, le nombre absolu des animaux inférieurs et des plantes étant plus élevé relativement à celui des êtres supérieurs, les transitions d’une forme à une autre sont forcément moins tranchées dans la première catégorie que dans la seconde. On voit que, de toutes façons, Buffon était bien éloigné de professer ce que l’on a nommé depuis la fixité et la perpétuité de l’espèce. Il ne paraît pas pourtant qu’il ait cherché à relier l’idée de durée à celle des mutations dont il suppose les êtres inférieurs susceptibles. Il ne soupçonne pas même, dans les Époques de la nature, que les plantes des houilles puissent être l’indice d’une