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dait un édit dont l’objet avoué était de déposséder les Polonais de droit de propriété, de transférer les terres aux Russes, et à la rigueur, si l’on veut, ces violences de répression s’expliquaient par les passions encore toutes chaudes de la lutte. L’ukase de 1865 a été certainement en partie exécuté et a eu pour effet, surtout au premier moment, une vaste spoliation : il est aussi en partie tombé en désuétude par la force des choses, parce que les Russes qui sont devenus propriétaires, qui étaient le plus souvent des fonctionnaires peu propres à s’occuper de la culture et de l’administration des terres, ont senti eux-mêmes le besoin de se servir des Polonais, de les associer sous des formes diverses à la gestion de leurs propriétés. Les nouveaux propriétaires russes n’ont pas revendu les terres ainsi acquises aux Polonais, ils ne le pouvaient pas : ils les ont affermées pour une longue durée. Ils les ont quelquefois remises en gage. Il en est résulté avec le temps, sous une sorte de garantie tacite, un certain état moins dur pour les Polonais, avantageux pour les Russes eux-mêmes. Aujourd’hui, l’ukase du 8 janvier, abrogeant ces tolérances inoffensives et même utiles, interdit aux Polonais non seulement d’acquérir, mais de prendre en ferme, de recevoir en gage des propriétés dans les neuf gouvernemens de la Lithuanie, de la Russie-Blanche et de la Petite-Russie. Le nouvel ukase ne dispose pas seulement pour l’avenir, il a un effet rétroactif. Il annule d’innombrables transactions ; il ne se borne pas à faire revivre l’édit du temps de Mourawief, il l’aggrave sous plus d’un rapport, et par une particularité curieuse qui montre combien ces coups d’autorité risquent souvent de s’égarer, les Polonais qu’on avait surtout en vue ne sont pas seuls frappés ; bien des Russes qui ont bénéficié de la situation nouvelle, qui sont devenus propriétaires, et parmi eux il y a de très hauts, de très puissans fonctionnaires, sont eux-mêmes atteints dans leurs intérêts, et vont se trouver dans des conditions impossibles, Économiquement, c’est pour le pays une perte immense par la dépréciation des terres, par un appauvrissement universel, Politiquement ou moralement, cette mesure n’atteindra guère son but, qui est la russification de ces provinces ; elle peut ruiner les Polonais, elle ne profite pas aux Russes et elle pourrait n’avoir d’autre effet que de stimuler l’immigration allemande qui depuis quinze ans n’a cessé de s’accroître dans les provinces polonaises ; mais ce qu’il y a de certain dans tous les cas, c’est que l’ukase du mois de janvier est le triste réveil d’un esprit de guerre et de persécution qui paraissait sommeiller, et ce n’est malheureusement pas le seul acte de ce genre accompli depuis peu par le gouvernement russe.

On revient à la guerre ouverte contre tout ce qui est polonais, contre la langue, contre l’église, et une des plus récentes victimes de cette politique est l’archevêque de Wilna, Mgr  Grinevetzki, qui vient d’être l’objet de rigueurs inattendues. Le malheureux prélat ne pou-