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les défendre contre les partisans de leur ennemi commun. A la tête d’une troupe de plus de trois cents cavaliers, composée de Turcs, de spahis et d’auxiliaires, Jusuf, chef d’escadron au 3e chasseurs d’Afrique, faisait la police de la plaine ; quand il était besoin d’une démonstration plus forte, le général Ouzer sortait avec les troupes régulières. C’est ainsi qu’il alla chercher, près du lac Fezzara, les Oulad-Attia au mois d’avril 1833, refouler les Beni-Yacoub au mois de mai, châtier les Merdes au mois de septembre.

Intéressant pour l’histoire locale et pour les chroniques régimentaires, le récit de ces petites expéditions risquerait d’être ici monotone. C’est un peu l’inconvénient de ces guerres d’Afrique, où, soulèvemens et répressions, les incidens sont nombreux sans être variés. Si l’historien, non par ignorance ou par oubli, mais volontairement et réflexion faite, en élimine beaucoup, s’il ne met en lumière que ce qui a du relief, il use de son droit, qui est de choisir, et fait son devoir, qui est de ménager le lecteur.

L’été de 1833, comme celui de l’année précédente, fut pour les troupes de Bône un temps de ravage. Quelle valeur a le mot décimer quand on voit, au mois de juillet, le 55e de ligne, sur un effectif de 2,430 hommes, n’en avoir pas beaucoup plus de 500 à mettre en ligne, et le 6e bataillon de la légion étrangère souffrir encore davantage ? Au mois d’août, il y avait 1,600 malades ; du 15 juin au 15 août la garnison perdit plus de 300 morts. Un mois après, Bône vit débarquer la commission d’enquête ; elle fut témoin de cette misère ; elle put signaler tout ce qu’il y avait à faire, après ce qui avait été fait déjà, pour abriter les troupes autrement que dans des masures détrempées par la pluie, surtout pour assainir et purifier la ville. Avec la chaleur, les fièvres avaient heureusement diminué ; au 1er octobre, il n’y avait plus que 700 hommes à l’hôpital ; le 55e allait être relevé par deux bataillons du 59e. L’hiver acheva de rétablir la santé publique.

Bône comptait un millier de juifs, autant de Maures, environ 800 Européens, Maltais et Mahonais pour la plupart. Au dehors, l’influence française gagnait du terrain ; les douars protégés couvraient les deux rives de la Seybouse ; jusqu’à sept ou huit lieues de distance, deux spahis pouvaient sans crainte porter aux tribus les ordres du général. Les Européens commençaient à faire des acquisitions de terres ; le général Duzer avait donné l’exemple ; il ne pensait pas qu’il s’exposait aux soupçons, aux attaques, aux morsures venimeuses dont le maréchal Clauzel avait déjà souffert et dont il devait souffrir encore.

Les fêtes du Ramadan furent encore plus brillantes, les courses de chevaux plus animées qu’en 1833 ; tous les grands y étaient venus avec leurs plus riches vêtemens et leurs plus belles armes.