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aides-de-camp ; mais, dès que le juge vit entrer l’officier français dans la salle d’audience, il se leva et sortit en criant que la justice du Prophète n’était plus libre. Quant à la Mauresque, il était temps qu’elle fût délivrée, car le chaouch du cadi s’apprêtait à lui donner la bastonnade ; elle s’en alla tout de suite à l’église catholique, où elle reçut le baptême. Du tribunal, le cadi avait couru chez le moufti, et tous deux étaient tombés d’accord que le cours de la justice devait être suspendu. C’était grave. Le lendemain, les Maures s’attroupèrent devant la salle d’audience, dont les portes restèrent fermées. Il ne fallait pas laisser l’agitation s’étendre. Sommés de reprendre sur-le-champ leurs fonctions, le moufti et le cadi refusèrent : ils furent aussitôt révoqués et remplacés. Ce coup de vigueur étonna le moufti, qui fit amende honorable et rentra dans sa place. L’installation du nouveau cadi eut lieu le 10 septembre ; les amis de l’ancien voulurent faire du désordre : on en arrêta deux ou trois, et la justice musulmane reprit paisiblement son cours.

Le jour où elle avait été brusquement interrompue, l’intendant civil, mandé chez le général Voirol, avait affecté, avec un étonnement qui sentait l’impertinence, de ne rien savoir de ce qui se passait, ou du moins d’en ignorer la cause. Pour le coup, c’était trop ; ce jour-là pourtant, le général prit sur lui de se contenir encore ; mais le lendemain, dans une conversation relative à la nomination du nouveau cadi, la discussion devint tellement vive qu’il éclata, le prit de très haut et, dans toute la vérité du terme, remit l’intendant civil à sa place. S’il ne s’ensuivit pas une rencontre, ce fut apparemment le subordonné qui calcula les conséquences fâcheuses qu’elle aurait pu entraîner après elle. Il avait à continuer en France sa carrière interrompue en Afrique.

Un nouvel intendant civil arrivait avec le gouverneur général. M. Genty de Bussy partit d’Alger sans y laisser de regrets ; le général Voirol en laissa beaucoup au contraire. On lui avait offert de conserver le commandement des troupes sous le comte d’Erlon ; il refusa ; il consentit seulement à demeurer quelque temps encore afin de mettre le général Rapatel, son successeur, et le gouverneur général au courant des affaires. Il était aimé ; il avait fait tout le bien que, dans une situation douteuse, il lui avait été permis de faire ; l’armée, la population civile, les indigènes eux-mêmes, le regrettaient ; en témoignage de reconnaissance, une médaille d’or lui fut offerte. Son départ, au mois de décembre 1834, fut un triomphe.


CAMILLE ROUSSET.