Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

branchée ou en ambassade auprès (de Charles XII, c’était, dit Voltaire, presque la même chose. Le roi entretenait Groissy des heures entières dans les endroits les plus exposés, pendant que le canon et les bombes tuaient du monde à côté et derrière eux, sans que le roi s’aperçût du danger ni que l’ambassadeur voulût lui faire seulement soupçonner qu’il y avait des lieux plus convenables pour parler d’affaires. »

Ces diplomates sont insuffisamment et irrégulièrement payés. Il faut songer toutefois qu’un ambassadeur de France en Pologne est mal en ordre s’il n’a que vingt-cinq chevaux et le domestique correspondant, car beaucoup de seigneurs polonais sont suivis de cinq ou six cents valets ou écuyers. Le luxe de la représentation, à Stockholm, pour être moins excessif, leur est encore une lourde charge. Il faut tout au moins à l’ambassadeur, selon Rebenac, un gentilhomme, un secrétaire, un aumônier, un maître d’hôtel, un officier, un cuisinier, deux valets de chambre, — dont l’un soit tailleur, — trois laquais, deux palefreniers, de huit à dix chevaux. On ne s’étonne donc pas de lire, dans ses Lettres, qui ont été publiées, les incessantes lamentations de Feuquière sur le délabrement de sa fortune et l’abandon de sa famille pendant les dix années de son ambassade suédoise. Comme il doit suivre l’armée du roi de Suède et s’associera ses combats, il faut qu’il ajoute un équipage de guerre à ses dépenses d’ambassadeur. « Trente chevaux ne me suffisent pas, dit-il ; je n’ai pas de tentes ni beaucoup d’autres ustensiles qu’il faut avoir dans un camp. Mon train est de plus de quatre-vingts bouches ; j’ai à faire de continuelles distributions à des Français déserteurs et autres… Voyez où cela peut aller, avec le vin, dont il faudrait avoir une source ! Comment soutenir tant de dépenses avec 30,000 livres et de rares gratifications ? — Je paierai de la grandeur de mon maître, et c’est, à la vérité, une monnaie de bon aloi, qui a cours partout. » Il ne s’écrie pas moins, après plusieurs instances : « Je manquerai d’argent ! je suis résolu de me retrancher jusqu’à l’indécence plutôt que de faire l’escroc ou le Jérémie ! » D’Avaux mande de même : « Je n’ai pas touché un son de mes appointemens depuis dix-neuf mois que j’ai quitté Paris… J’ai vendu il y a quelque temps un peu de ma vaisselle d’argent ; j’en viens de mettre pour 4,000 livres en gage, sur quoi on m’a prêté 2,000 livres ; je ne sais plus de quel côté me tourner… » Il apprend enfin, en septembre 1694, qu’il va être payé de la première moitié de 1693, et qu’il recevra en décembre la seconde moitié, et le voilà qui se répand en actions de grâces au ministre : « Sans vos sollicitations et l’honneur de votre protection, j’aurais eu bien de la peine à tirer cet argent, et je ne sais comment j’aurais pu fournir aux frais de cette ambassade. »