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Ces diplomates, quoi qu’il leur en coûte, représentent le roi au dehors avec fierté et magnificence. Très exacts à ne rien abandonner, dans le cérémonial, de ce qui lui est dû, ils prétendent montrer autour d’eux à l’étranger quelque image de la cour de Versailles. Cette protection des lettres, des sciences et des arts que le roi de France exerce au dedans et au loin, ils veulent y concourir, et ils font de cela une partie de leur office. Si les pays du Nord ne laissent point place à un Nointel, qui, comme Choiseul-Gouffier plus tard, fit un si noble butin en Grèce et enrichit notre musée du Louvre, du moins un Chanut seconde la reine Christine à former ses riches collections ; il relit avec elle Épictète, Tacite et Virgile ; avec elle il discute, en bel esprit peut-être, mais aussi en honnête homme, les questions de philosophie et de morale ; il assiste Descartes mourant. Un Pomponne dispute les restes du grand philosophe français aux nombreux disciples du Nord qui se sont attachés à sa doctrine[1]. Tous deux, Pomponne et Chanut, recherchent

  1. Registre Suède no 19 aux archives des affaires étrangères. Pomponne à Colbert, 8 mai 1666. — Il est regrettable que nous n’ayons pas encore un recueil complet des Lettres de Chanut ; le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, à Paris, offrirait, pour une telle publication, de très riches élémens. On peut lire, en particulier, dans le Fonds Harlay, p. 244, 2, 317 une longue et bien curieuse lettre de Chanut à Descartes (11 mai 1647) à propos d’une épître adressée par le philosophe sur ces mêmes sujets à la reine Christine. Chanut rapporte ses conversations avec la reine. Elle a voulu se récuser sur l’amour, « pour ce, disoit-elle, que, n’ayant pas ressenti cette passion, elle ne pouvoit pas bien juger d’une peinture dont elle ne connoissoit point l’original. » Mais elle pouvait au moins, réplique Chanut, parler de l’amour intellectuel, « qui regarde un bien pur et séparé des choses sensibles, » etc. — Chanut se plaisait fort, ce semble, à ces entretiens avec Christine : « Il me semble, écrit-il à Brienne, le 12 octobre 1618, que la reine de Suède prend, dans la conduite de son intérieur, le chemin d’une haute vertu. Depuis ces trois semaines dernières que j’ai l’honneur d’être auprès d’elle plus de huit heures par jour, je vois plus de force ut de lumière dans son esprit que je n’en saurois comprendre Elle mêle si bien l’étude de la sagesse et l’innocence de la vie avec la prudence et la dignité du commandement qu’on ne la peut voir sans admiration. Tout ce voyage s’est passé dans la lecture de l’Épictète, du Tacite et du Virgile, dont elle explique les pensées en notre langue avec une incroyable facilité. Si Dieu me fait la grâce de me donner quelque inclination aux choses bonnes, il est impossible qu’elle n’augmente auprès d’un si grand exemple, et quand il plaira à Votre Éminence de me tirer de cet emploi pour la servir en une autre condition, elle me trouvera plus ferme dans le bien et plus capable d’être, Monseigneur, de Votre Éminence, etc.. » — (Suède, registre 14.) — Il écrit le 3 septembre 1650 : « La reine de Suède a eu la curiosité d’appeler ici M. de Saumaise, que ses admirateurs appellent un homme divin, qui n’ignore rien de ce qui a été su dans tous les siècles passés. Je les croirais en une matière qui n’est pas de mon ressort, et j’irois à l’adoration comme les autres, s’il n’étoit calviniste si aheurté, car je ne puis croire qu’un homme soit fort éclairé au reste quand il est aveugle en ce qu’il devroit le mieux connoître. » Ibid. — Nous n’en finirions pas avec ces citations, qui auraient leur prix.