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la conquête ? Le ministère sera sans doute unanime avec nous sur une œuvre de la restauration qui est vraiment digne et nationale ; mais la politique qui se fait par élans généreux, par sentimens désintéressés, n’est pas beaucoup accueillie par le temps qui court. Entre l’héroïsme qui coûte et l’égoïsme qui rapporte on ne balance plus guère, et le chiffre d’une action passe avant sa moralité. Comme il faut tout prévoir, je dois dire que la crainte même d’irriter la susceptibilité de quelque grande puissance ne pourrait servir d’excuse à l’abandon qu’on ferait d’Alger, car l’Europe souhaite, l’Angleterre désire que la France conserve cette colonie. » La réponse du maréchal Soult fut un peu moins brève, sans être plus explicite que celle qu’il avait faite l’année précédente à la chambre des pairs : « Je ne viens, dit-il, contester ni combattre ce qui a été dit de favorable au sujet d’Alger ; mais le maréchal Clauzel, ainsi que les orateurs qui lui ont succédé, ont fait des questions sur lesquelles il ne m’est pas possible de répondre d’une manière péremptoire ; je ne puis pas dire positivement ce qu’il en adviendra. Le fait est que nous occupons Alger et qu’aucune des dispositions du gouvernement ne peut faire présumer qu’il ait l’intention de l’abandonner. » Le langage du ministre de la guerre ne satisfit pas les partisans de l’occupation : « S’il continuait à garder le silence, disait le lendemain l’un d’entre eux, il faudrait apporter ici l’expression du vœu national ; il faudrait du haut de cette tribune faire entendre cette vérité que le désir de la nation est qu’Alger reste une possession française. » Casimir Perier intervint ; après avoir établi que, sur un total de 14,371,000 francs, la dépense vraiment imputable à l’occupation n’était pas de 6 millions 1/2, puisque l’entretien des mêmes troupes en France aurait absorbé le surplus, il ajouta : « Toutes les précautions sont prises pour que l’occupation militaire soit forte, qu’elle subsiste dans l’intérêt de l’honneur de la France et dans l’intérêt de l’humanité, qui est non-seulement celui de la France, mais encore celui de toutes les nations de l’Europe. »

Dans les calculs politiques auxquels donnait lieu la question d’Alger, entrait toujours un facteur important, l’opinion de l’Angleterre. A ne juger que par le langage des journaux de Londres et par l’attitude jalouse, défiante, hostile même des agens consulaires de la Grande-Bretagne à Alger, à Oran, à Tunis, au Maroc, il était permis de croire que le sentiment du gouvernement anglais devait être, après comme avant la conquête, aussi mauvais, sinon pire ; et de là, les malveillans ne manquaient d’inférer que, pour complaire à nos impérieux voisins, le gouvernement français leur avait fait d’avance le sacrifice de la terre conquise.

Dans cette imputation qui a été si souvent et si longtemps