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Danemark prêt à envahir la Suède, avait suffi pour renverser ces grands desseins, qui supposent tout au moins une ardeur mémorable.

Les desseins de Colbert, plus sûrement fondés, n’étaient guère moins étendus. A peine arrivé au pouvoir, il calculait avec un patriotique ressentiment l’infériorité commerciale de la France, surtout dans le Nord ; quinze ou seize mille bâtimens (sur les vingt mille chargé du commerce du monde) appartenant à la république hollandaise et cinq ou six cents tout au plus à la France ; la compagnie néerlandaise des Indes orientales donnant à ses actionnaires un intérêt de 40 pour 100 alors que les compagnies françaises, fondées et soutenues à force de subventions, ne rapportaient pas plus de 4 pour 100. Sa guerre de tarifs visera en particulier le commerce de la Hollande dans la Baltique. On sait combien il s’intéressait à une compagnie dite du Nord, qui devait établir des comptoirs sur les côtes de cette mer, introduire dans les contrées riveraines les sels et les vins français, sans préjudice des produits naturels des îles d’Amérique et des pays d’Orient, que lui transmettraient les compagnies des Indes orientales et occidentales en échange des bois, du goudron et des fers de l’Europe du Nord. Lui aussi il voulait nouer des relations avec la Moscovie et faire pénétrer notre commerce dans ces régions presque inconnues ; mais il ne dédaignait pas des communications moins lointaines, qui pouvaient servir d’anneaux à une chaîne toujours plus solide et plus vaste. Non-seulement il concluait des traités de commerce avec le Danemark et la Suède pour lutter contre l’influence de l’Angleterre et de la Hollande ; mais il ouvrait encore des négociations avec les petits souverains, avec les villes, pour multiplier les liens réciproques. On le voit accueillir d’utiles propositions du duc de Courlande, et lui laisser espérer que le roi donnera les mains pour lui faire acheter un port sur nos côtes, Marennes, auprès de Brouage, où il trouvera toute sorte de commodités pour son commerce. On le voit encourager l’électeur de Mayence au projet d’une colonie mi-française, mi-allemande en Guyane, et l’on mesure aisément par ces incessans et patriotiques efforts l’importance que devait avoir à ses yeux l’alliance intime avec la principale puissance établie sur les côtes de la Baltique.

L’amitié de la Suède ne permettrait pas seulement à Louis XIV d’intervenir dans les rivalités politiques et commerciales qui choisiraient pour théâtre les mers du Nord ; elle lui donnerait en outre un moyen de faire pénétrer l’action de la France en Allemagne, de s’y faire écouter et obéir. Cette grande machine de l’empire allemand n’avait toujours d’autre constitution que celle qu’elle avait reçue au XIVe siècle ? la Bulle d’or de 1356 était encore sa charte