Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/600

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivant lui, à détenir jusque dans le centre du pays allemand cent trente-deux villes considérables, voisines les unes des autres. Ces possessions avaient été sans nul doute rendues lors de la paix de Westphalie ; mais assurément elles avaient laissé après elles des souvenirs et des relations utiles.

La Suède, au sortir de la guerre de trente ans et des négociations de Westphalie, jouissait d’un très grand crédit en Allemagne. Elle passait pour être toujours, comme au temps de Gustave-Adolphe, la protectrice des protestans dispersés sous la domination des divers princes de l’empire. Plus d’une fois après 1648, les évangéliques de Hongrie invoquèrent son assistance, et même un asile. Charles XI alla jusqu’à leur proposer un établissement en Poméranie, avec une réduction d’impôts pendant vingt années. C’est ce qui explique pourquoi la révocation de l’édit de Nantes causa une émotion particulière à Stockholm. Les luthériens chassés de France reçurent des offres de la couronne suédoise, qui leur ouvrait des refuges dans le duché de Deux-Ponts et dans le Palatinat (on sait que les rois de Suède étaient, depuis Charles X Gustave, successeur de Christine, comtes palatins du Rhin, comtes de Sponheim et de Weldentz). Charles XII sera encore appelé comme un libérateur par les protestans de Silésie et de Bohème, et on lui prêtera même le dessein de faire alterner la couronne impériale entre les protestans et les catholiques. Louis XIV saura plus d’une fois, mieux inspiré qu’en 1685, mettre à profit ce moyen de diversion religieuse que lui offrira le reste d’autorité confessionnelle conservé à la Suède ; il tiendra parfois pour nécessaire d’avoir la seule promesse publique d’un concours militaire des Suédois, afin de rassurer en Allemagne les princes protestans sur ses propres desseins[1].

Un curieux récit d’Arnauld de Pomponne dans ses Mémoires[2] montre clairement que ces Suédois avaient conscience de la bonne renommée dont ils jouissaient encore sur le continent, et qu’ils prétendaient bien escompter cette force d’opinion. Lorsqu’on 1653

  1. Encore en 1776, la France invoque ce droit de garantie et de protection qu’avait la Suède. Je lis dans une dépêche inédite du comte de Creutz, ambassadeur de Suède en France, à Gustave III, 30 mai de cette année : « Le comte de Vergennes me parla de la rupture de la chambre de Visitation de Wetzlar, et il me dit que tout le corps des protestans était très irrité contre le subdélégué de Votre Majesté, qui avait abandonné leur cause. Comme garant de la paix de Westphalie, Votre Majesté était le protecteur du corps évangélique en Allemagne, et il était essentiel, suivant lui, de conserver ce beau fleuron de la couronne de Suède. Il croyait donc conforme à la sagesse de Votre Majesté de ne pas aliéner ce corps, mais de conserver son attachement même en ménageant la cour de Vienne, ce qui devenait fort facile on se rendant le conciliateur des deux partis. »
  2. Publiés par M. Mavidal, 1860, p. 306.