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les commissaires se réunirent à Stettin pour régler les limites de la Poméranie selon le traité d’Osnabrück, les ministres de Christine, dont le principal était Salvius, abusèrent, dit-il, de la puissance et de l’autorité de leur cour, qui étaient grandes en Allemagne. L’article 10 du traité portait que le cours de l’Oder en Poméranie resterait à la Suède en souveraineté, avec la largeur du bord oriental qui serait réglée par les commissaires. Ceux de Brandebourg soutinrent que le bord d’une rivière ne se peut étendre au plus qu’aussi loin que les eaux se peuvent répandre dans les plus grands débordemens de l’hiver. A quoi Salvius objecta qu’il se pouvait bien que tel fût le droit commun, mais que ce droit ne valait pas à l’égard des couronnes, et que celles-ci, pour assurer les bords des rivières qui leur appartenaient, devaient porter leurs limites aussi loin que la sûreté de leurs places et de leurs pays le requérait : « Il fit valoir en cette sorte, dit Pomponne, un nouveau mot et une nouvelle prétention de litius regium, et se fit céder à titre de rivage royal un pays largo en quelques endroits d’une lieue, en d’autres de deux et de trois tout le long du cours de l’Oder. »

En résumé, pour ce qui concerne l’Allemagne, le roi de Suède, maître de la Poméranie occidentale, pouvait avoir constamment des troupes à la disposition du roi de France son allié, et concourir de la sorte à ses démarches contre la maison d’Autriche. Maître de Brème, il pouvait agir sur les princes allemands des bords du Rhin, il pouvait aider à les ligner contre l’empereur pour faire interdire le passage des troupes impériales vers l’ouest, c’est-à-dire vers les ennemis qu’allait combattre Louis XIV. Une armée suédoise menaçait facilement de Brème soit les Pays-Bas espagnols, soit au besoin les frontières des Provinces-Unies. — Louis XIV ne négligea aucun de ces moyens d’action, et, dans toute la première partie de son règne, c’est-à-dire jusqu’au moment où la Suède, lassée de le suivre en des luttes devenues excessives et passionnées, se replie vers une politique plus restreinte et plus nationale, on trouve l’alliance suédoise intimement et utilement mêlée à presque toutes ses entreprises. Louis XIV a été sans cesse préoccupé de faire servir l’Allemagne à ses longs desseins, non pas seulement pour l’abaissement de la maison d’Autriche, mais pour la satisfaction de certaines ambitions qui peuvent paraître excessives. Mazarin, lors de la formation de la Ligue du Rhin, avait songé pour le jeune monarque à la couronne impériale ; le souverain tout-puissant de Nimègue a certainement voulu se faire élire roi des Romains : Pomponne a été chargé expressément de négocier cette affaire en octobre 1679 avec l’électeur de Saxe. Ces préoccupations constantes et ces ambitions