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L’abonnement aux eaux de l’Ourcq coûte, pour un mètre cube par jour, 60 francs par an. Les boulangers paient leur abonnement 120 francs et emploient l’eau de source.

Enfin l’usine Scipion, pouvant garantir qu’elle n’aura jamais de chômages, trouve la main-d’œuvre à meilleur compte. Un maître ouvrier boulanger, un gindre (le nom s’est conservé), gagne 7 francs par jour, en faisant quatre fournées, et toute fournée supplémentaire lui est payée un franc. A l’usine Scipion, le gindre ne gagne que 7 francs pour six fournées, et le pétrisseur’ 0 fr. 50 par jour.

Voici donc bien des avantages au profit de l’usine municipale. Et n’oublions pas qu’elle devrait réaliser à la fois les bénéfices du meunier et du boulanger. Ses frais de panification sont estimés à 7 francs environ pour 100 kilogrammes de farine, ce qui donnerait 13 francs par sac : sous cette rubrique, les boulangers ont l’habitude décompter toutes les dépenses autres que celle de l’achat de la farine, leur matière première : c’est-à-dire la main-d’œuvre, les impositions, le loyer, l’eau, le gaz, le bois de chauffage. Pour eux ces frais de panification ne paraissent pas pouvoir descendre au-dessous de 20 francs par sac.

Quel sera donc enfin le prix de revient à l’usine Scipion ? 0 fr. 2804 par kilogramme, d’après les dernières estimations. Et le pain est livré aux lycées pour 0 fr. 30.

Ce résultat, fort médiocre, laisse prévoir que des boulangeries municipales ne vendraient pas à meilleur compte que les boulangers le pain de première qualité. Le pain de l’usine Scipion n’est qu’un pain bis-blanc, dont le peuple de Paris ne voudrait pas, et qu’il serait inutile de mettre en vente. Il faudrait en fabriquer de meilleur, et l’on n’aurait que 0 fr. 05 ou 0 fr. 06 de marge par pain de quatre livres, puisqu’on devrait vendre à 0 fr. 65. On ne parviendrait pas à soutenir la concurrence sans pertes ; et il serait démontré une fois de plus que l’état ou la ville, quand ils veulent se mêler d’affaires commerciales, ne peuvent lutter, en fait d’économie et de bonne fabrication, avec l’industrie libre et l’initiative privée.

La commission passa à l’étude d’une troisième proposition. Des industriels proposaient de faire concurrence aux boulangers et espéraient réaliser des bénéfices, grâce à la fabrication en grand et à la diminution des frais généraux. Une société de manutention établie à Saint-Denis devait fournir du pain à 0 fr. 54 ; un négociant promettait de le livrer à 0 fr. 60, s’il lui était permis d’établir de petits dépôts dans des baraques Collet, ces baraques dont les boulevards sont encombrés pendant la semaine du jour de l’an. La proposition mérite d’être étudiée ; et il ne serait pas impossible qu’une pareille concurrence fit baisser les prétentions des boulangers.