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pensé que la taxe pût s’appliquer utilement au commerce du pain de ménage, ni en général qu’elle pût avoir pour résultat de produire le bon marché des produits dans les industries livrées à la libre concurrence. Les admirables monumens que l’ancienne administration nous a laissés, touchant la pratique suivie en matière de subsistances, ne laissent à cet égard aucun doute[1]. » On faisait exception à ce principe pour quelques sortes de pain de luxe, tenant fort peu de place dans l’alimentation publique. Il y avait deux motifs à cette exception. D’abord, elle ne concernait que les deux cent cinquante boulangers de petit pain, boulangers privilégiés, profitant des avantages de la corporation qui pouvaient dégénérer en abus. Ensuite, l’usage établi de vendre à prix fixe avec un poids variable rendait aisé de tromper les acheteurs ; et il était à propos de leur apprendre au moyen d’une sorte de taxe officieuse déterminée d’après la mercuriale, quel poids ils avaient droit d’exiger. En somme, comme le remarque judicieusement M. Le Play, les anciens règlemens étaient le contre-pied de ceux qui, de nos jours, ont été en vigueur : la boulangerie était libre en principe et taxée seulement pour quelques produits exceptionnels. Depuis, la taxe est devenue la loi générale et la liberté une exception.

Le roi Louis XVI et Turgot furent les fondateurs, en France, de la liberté de commerce et de la circulation des grains. La déclaration du roi du 25 mai 1763, les lettres patentes promulguées le 2 novembre 1774, précédées de très remarquables considérons, étaient inspirées de cette idée nouvelle, si sage, si féconde et combattue par tant de préjugés. La suppression des barrières fiscales qui séparaient les provinces ne s’opéra pas sans luttes, et plus d’une fois l’émeute populaire barra le passage aux chariots chargés de blés.

Au début de la révolution, la liberté du commerce des grains fut proclamée comme toutes les autres libertés ; et, comme il est quelquefois arrivé, les règlemens les plus despotiques, les entraves administratives les plus tracassières et les plus malfaisantes se multiplièrent. D’abord, sans rétablir les barrières intérieures, on redoubla de sévérité pour empêcher le libre échange avec les pays voisins et interdire la sortie du territoire français : « Un sac de blé ne pouvait être transporté à proximité de la frontière de terre ou par cabotage sans être accompagné d’un acquit-à-caution obligeant l’expéditeur à justifier de la livraison ultérieure du produit dans une commune du territoire français[2]. »

Puis vint la taxe du pain, autorisée par la loi des 19-22 juillet 1791,

  1. Rapport de M. Le Play, p. 39.
  2. Rapport de M. Le Play, p. 37.