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qui fut, suivant M. Le Play, « la mesure la plus funeste de cette triste époque et marqua formellement le terme des tentatives de liberté et le retour au régime réglementaire. » L’article 30 de cette loi est ainsi conçu : « La taxe des subsistances ne pourra provisoirement avoir lieu dans aucune ville ou commune du royaume que sur le pain et la viande de boucherie sans qu’il soit permis en aucun cas de l’étendre sur le vin, le blé, les autres grains, ni autres espèces de denrées, et ce, sous peine de destitution des officiers municipaux. »

Partisan de la liberté complète des transactions, l’illustre rapporteur du conseil d’état se demande comment les membres de l’assemblée ont pu se résigner à renoncer à des principes appliqués avant et depuis 1780. C’était remonter à 1577, car depuis 1577 la taxe du pain n’avait point existé ; le pain de ménage (celui qui alimentait la population) avait toujours été vendu sous le régime de la libre concurrence ; et aucun administrateur sous l’ancienne monarchie n’avait eu l’idée de faire intervenir la ville ou l’état pour fixer les prix qui doivent être débattus entre acheteurs et vendeurs. Ce n’était pas là rétablir ce que l’assemblée constituante avait supprimé ; c’était établir une mesure nouvelle, créer un droit nouveau qui soumettait le commerce de la boulangerie à l’arbitraire des municipalités.

Sous la convention, le système réglementaire, sanctionné par les plus barbares pénalités, fut appliqué à tous les genres de commerce. Cette assemblée pratiquait la fraternité au moyen de l’échafaud, la liberté en décrétant le maximum, l’égalité en organisant la misère et la famine pour tous les citoyens sans distinction. En matière commerciale, il semblerait, à lire les lois et décrets de ce temps, que toutes les marchandises fussent des propriétés publiques et tous les marchands des malfaiteurs. Certes les légistes des Valois et les ministres de Louis XIV n’avaient jamais songé à les réduire à un si dur esclavage. Si cet odieux et absurde régime avait duré, personne n’aurait plus voulu risquer son bien, sa liberté, sa vie dans les ruineuses et périlleuses carrières de meunier, boulanger, marchand de grains ou de bestiaux.

Le décret du 4 mai 1793 imposait à tout propriétaire de grains et de farines l’obligation de déclarer à la municipalité la quantité qu’il possédait. Il était défendu de vendre ailleurs qu’au marché, et sous prétexte d’approvisionner le marché, le maire pouvait réquisitionner les gerbes dans les granges et les faire battre. Le maximum des prix de vente était fixé pour le mois de mai 1793,