Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et cela pouvait suffire, sans doute, il y a trente ans, à défrayer l’enseignement d’une classe de rhétorique, encore qu’il eût mieux valu s’y montrer plus original, mais on attendait, on a le droit d’attendre autre chose d’un professeur du Collège de France ; — et celui de se plaindre qu’il ne nous le donne pas.

Des neuf leçons dont M. Deschanel a formé ce volume, les deux premières, celles qu’il a consacrées à La Rochefoucauld, sans être excellentes, ni surtout très neuves, sont cependant de beaucoup meilleures. Quiconque a un peu vécu, un peu vu, un peu retenu, ne saurait être embarrassé de commenter le livré des Maximes ; ce portrait du cœur humain, connue l’appelait son auteur, est assez ressemblant pour qu’il soit toujours facile d’apporter des exemples nouveaux à l’appui de son exactitude ; et M. Emile Deschanel, tout comme un autre, en a donc trouvé. Je voudrais toutefois, puisqu’elle se présentait, qu’il n’eût pas laissé passer l’occasion d’examiner d’un peu près si la réputation de La Rochefoucauld n’a pas été, n’est pas encore bien surfaite. Le cercle de son observation est si étroit ! Quelques-unes de ses Maximes, — et j’entends des plus vantées ou des plus souvent citées, — sont capables de tant d’interprétations diverses, et, par conséquent, si obscures, ou d’une clarté si douteuse ! Dans ce mince petit livre, il y a tant de redites et de répétitions ! et puis, un recueil de Maximes ressemble si peu à un livre ! celles qui sont l’abrégé d’une longue expérience s’y discernent si malaisément d’avec celles qui ne sont que la boutade ou le caprice d’un misanthrope ! on en relève tant d’insignifiantes, pour ne pas dire de banales, et quelques-unes de parfaitement plates, qu’il y a peu d’auteurs, à mon sens, qu’il soit plus nécessaire de replacer à leur date pour comprendre le succès de leur livre, peu d’auteurs dont le nom et l’illustration acquise par de tout autres moyens aient plus aidé la fortune littéraire, et peu d’auteurs enfin dont la réputation dépasse plus le mérite réel. Trois ou quatre femmes, elles-mêmes diversement illustres, dont Mme de Longueville et Mme de La Fayette, mêlées à l’histoire ou plutôt au roman de la vie de La Rochefoucauld, n’ont pas médiocrement servi non plus, en attirant sur lui la curiosité des biographes, à le maintenir au premier rang de nos grands écrivains. Ne serait-il pas temps, aujourd’hui, de l’en faire descendre ? Le livre des Maximes est-il si fort au-dessus des Considérations sur les mœurs de Duclos, ou des Réflexions morales de Vauvenargues ? Mais n’est-il pas fort au-dessous des Essais de Montaigne, des Pensées de Pascal, des Caractères de La Bruyère ? Et de quelque manière qu’on les décide, ces questions, en tout cas, ne valaient-elles pas la peine d’être posées ?

M. Deschanel a mieux aimé comparer fort inutilement La Rochefoucauld avec Schopenhauer et s’attirer des applaudissemens faciles en