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maltraitant sans mesure le philosophe ou l’humoriste allemand. C’est dommage, à la vérité, que M. Deschanel n’ait pas lu Schopenhauer ; car, avant d’en parler, Schopenhauer mérite bien au moins qu’on le lise. Je ne sais donc si le moment est proche où, « à la bourse de la littérature, les actions Schopenhauer, cotées très haut pendant un instant, subiront une forte baisse ; » mais, quand il ne serait pas le théoricien du pessimisme, et quand il ne devrait survivre de lui que sa seule métaphysique de l’amour, je sais que c’en serait assez pour assurer à Schopenhauer un rang plus que « distingué » dans l’histoire de la philosophie. La Rochefoucauld, sans aucun doute, est un autre écrivain que Schopenhauer, plus français, — comme le fait remarquer justement M. Deschanel, — et il veut dire plus léger, plus vif, moins pédant, plus heureux dans le choix des mots et le tour des phrases, plus homme du monde surtout, et d’une corruption de mœurs ou d’esprit plus élégante, moins cynique, mais, quoique Français et grand seigneur ; il s’en faut cependant de beaucoup que l’ami de Mme de Longueville et le commensal de Mme de Sablé soit un philosophe, ou, comme on dit de nos jours, un « penseur » de la force et de l’originalité de Schopenhauer.

Tout cela prouve sans doute que M. Deschanel n’a point les mêmes idées que nous sur Schopenhauer et sur La Rochefoucauld ; mais cela ne prouverait-il pas peut-être aussi qu’il ne s’est pas assez préoccupé de renouveler de son fonds le sujet qu’il voulait traiter ? La préparation manque, et à défaut de préparation, l’indépendance au moins de la pensée. Lorsqu’on installa M. Deschanel, voici quelques années, dans cette même chaire du Collège de France que déjà Paul Albert n’avait pas si bien occupée, nous nous permîmes d’insinuer ici même que, pour enseigner la littérature française, on eût pu faire un meilleur choix que celui d’un écrivain dont le principal titre était un assez bon livre, à ce que disent du moins les hellénistes, sur Aristophane. A la vérité, tout d’abord il ne se tira pas mal d’affaire, et nous, nous fûmes trop heureux de le constater. Il fit d’ingénieuses leçons sur le Romantisme des classiques, il parla fort convenablement de Corneille, de Rotrou, de Molière, il fut enfin presque neuf et presque original sur l’auteur d’Andromaque et de Phèdre. C’est qu’avec peu d’étude et encore moins d’érudition, mais seulement un peu de monde et de goût il est facile en France, où la passion du théâtre a comme passé dans le sang, d’être juste, intéressant, nouveau même sur Racine et sur Molière. Mais sur Pascal et sur Bossuet, ou seulement sur La Rochefoucauld, il faut avouer que c’est autre chose, et M. Deschanel en est la preuve.

Il veut parler de La Rochefoucauld ; et faute de connaître la bibliographie de son sujet, il prend pour posthumes des maximes qui