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d’infanterie furent employées à cette odieuse, mais indispensable besogne.

Au dehors, la campagne paraissait tranquille ; le marché de la ville était régulièrement approvisionné ; la plupart des tribus du voisinage avaient promis l’obéissance. On savait bien ce que valaient en général ces sortes de promesses, pourtant quelques-unes étaient sincères. Les partisans d’Ahmed, de leur côté, ne laissaient pas de travailler sourdement : le 16 avril, on saisit dans Bône sur un homme venu du dehors une proclamation du cheikh Kazine, qui excitait la population a la révolte en lui annonçant l’approche de nombreux auxiliaires. L’espion fut conduit à Jusuf qui, après l’avoir interrogé, lui fit, séance tenante, couper la tête. Jusuf, il convient de ne pas l’oublier, avait été nourri à Tunis dans le système turc.

Dès que la nouvelle des événemens de Bône fut arrivée à Paris, les ministres de la guerre et de la marine s’entendirent pour hâter l’envoi d’un renfort que la division d’Alger était évidemment hors d’état de fournir. Une division navale, armée à Toulon, débarqua, du 18 au 26 mai, dans le port de Bône, le 55e de ligne, deux batteries d’artillerie, une compagnie du génie avec un immense matériel, un détachement des services dépendant de l’intendance, avec un gros approvisionnement de vivres. Le général Duzer, nommé commandant de la place et de la province, approuva tout ce qui avait été fait depuis l’occupation de la kasba et prescrivit de presser les travaux nécessaires à l’installation du renfort qu’il amenait. Un hôpital pour quatre cents malades fut établi dans une grande mosquée, située au point culminant de la ville. Des emplacemens voisins du port furent assignés à l’artillerie, au génie, à l’intendance, huit îlots de maisons contigus les uns aux autres affectés au logement des troupes, deux fours, capables de cuire huit mille rations en vingt-quatre heures, construits dans les magasins à grains du beylik. Après avoir visité avec le général d’artillerie de Caraman et le général du génie de Montfort, venus en mission temporaire, les fortifications de la place et s’être rendu compte de sa situation intérieure, le général Duzer fit aux environs plusieurs reconnaissances. La plaine arrosée par la Seybouse, les montagnes qui la dominaient, tout était d’une beauté merveilleuse, mais il n’aurait pas fait bon s’y aventurer sans escorte.

A six lieues, en remontant la rivière, une des plus puissantes tribus affectionnées au bey Ahmed, les Beni-Yakoub avaient établi leurs douars. Avant l’arrivée du général, ils étaient venus près de la ville tendre à Jusuf un piège auquel il ne s’était pas laissé prendre, mais où l’un de ses Turcs avait péri ; là où ils étaient placés, ils interceptaient les communications du haut pays avec