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La loi nouvelle aurait donc un effet rétroactif. La constituante a, sans doute, donné cet exemple en juillet 1791 ; mais ce n’est pas par là qu’il faut lui ressembler. D’ailleurs il ne s’agit plus aujourd’hui de remplacer le régime féodal et de transformer l’organisation de la propriété française ; il s’agit, au contraire, de consolider l’œuvre de 1780 et tout d’abord de respecter un principe élémentaire, qui est presque un axiome de droit naturel, inscrit au frontispice de notre code civil. Ce n’est pas impunément qu’un gouvernement donne aux lois un effet rétroactif. Il perd ainsi la confiance de ceux qu’il gouverne et peut, s’il y fait appel, leur tendre inutilement la main. Vous me promettez, lui dira-t-on, une concession de quatre-vingt-dix-neuf ou de cinquante ans ? Qui m’assure que, dans vingt-cinq ans, vous ne vous repentirez pas une seconde fois et vous ne trouverez pas le moyen d’abréger le terme de ma jouissance ? Vous invoqueriez à titre de précédent, pour rescinder notre contrat, les circonstances mêmes qui vous auraient permis de le conclure. Je ne suis pas votre homme, et je porte ailleurs mes capitaux.

Les novateurs répondront qu’ils ne se proposent pas de dépouiller purement et simplement les concessionnaires. MM. Brousse et Giard demandent, en effet, le retrait des concessions, « moyennant paiement d’une indemnité calculée d’après les dépenses faites et les bénéfices retirés. » Ce n’est pas là, qu’on le remarque, à proprement parler, une « expropriation » et les deux députés se sont abstenus, probablement à dessein, d’employer ce mot. Mais la propriété des mines appartenant dans notre pays au concessionnaire, ainsi que le rappelait naguère à la chambre des députés M. Raynal, ministre des travaux publics, « comme le moulin au meunier, comme le champ au cultivateur, » il n’y a pas deux façons de la lui ôter. Le retrait administratif des concessions ne peut être opéré que dans des cas spéciaux, rigoureusement déterminés par la loi. Donc, si le concessionnaire n’a pas méconnu ses obligations, « nul ne pouvant être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige et sous la condition d’une juste et préalable indemnité[1], » il faut l’exproprier et, « tous les hommes étant égaux devant la loi[2], » l’exproprier comme un autre. C’est d’ailleurs ce qu’a très bien compris, nous nous hâtons de le reconnaître, M. Girodet : « Il sera procédé à l’expropriation, dit cette dernière proposition, suivant les formes légales, moyennant les indemnités qui seront fixées par le jury. »

  1. Constitution de 1793 : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 19.
  2. Ibid., art. 3.