Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/887

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient exprimé le vœu qu’on chargeât les prud’hommes de statuer sur les litiges entre ouvriers et exploitans. Ce vœu passa dans un projet de loi que la chambre des députés a voté le 14 janvier 1884 après l’avoir légèrement amendé. Les compagnies demandent au sénat le rejet de cette proposition.

La question, à vrai dire, n’a qu’une importance secondaire et, quand un délégué des compagnies affirmait le 5 décembre 1883 devant la commission d’enquête que les mineurs du bassin de la Loire « s’en désintéressent, » nous le croyons volontiers. Nous ne faisons pas, bien entendu, aux organes des revendications ouvrières l’injure de croire qu’ils cherchaient, en proposant cette réforme, un moyen de semer la division entre les mineurs et les exploitans. Il s’agit uniquement de trouver, nous le croyons, pour les procès aujourd’hui soumis au juge de paix, un meilleur tribunal. Or les certificats officiels des greffiers établissent, à la date du 25 février 1884, que, dans l’important arrondissement de Saint — Etienne, par exemple, aucun litige entre patrons et ouvriers mineurs n’a été soumis aux juges de paix depuis trois ans, du moins pour la plupart et les plus importans des cenires d’exploitation. Des relevés analogues ont été faits pour les départemens du Nord, du Pas-de-Calais, de la Haute-Loire, etc.[1]. On a sans doute insinué que, si les procès n’étaient pas plus nombreux, c’est que les juges de paix n’inspirent pas de confiance aux ouvriers. Mais cette magistrature populaire est issue de la révolution française et n’a pas été recrutée depuis plusieurs années, on le sait, parmi les adversaires des institutions démocratiques. Elle ne saurait être et n’est pas suspecte à la démocratie. Si elle ne juge pas ou presque pas de procès, c’est qu’il n’y en a pas ou presque pas à juger. Dès lors, il importe assez peu de savoir qui les jugera. Cependant, puisque la question est posée, nous tâcherons de la résoudre en quelques mots.

Les compagnies opposent au projet de loi doux ou trois argumens sans portée. Par exemple, les sociétés de mines, étant, d’après la loi de 1810, purement civiles, ne pourraient pas comparaître, à les en croire, devant les prud’hommes, qui sont, comme on l’a dit en 1853, « les juges de paix de l’industrie. » C’est un raisonnement de légiste qu’on imposerait au législateur. On a marché depuis trois quarts de siècle, et les sociétés minières ne sont plus seulement, — M. G. Stell l’a dit avec raison, — de simples compagnies d’extraction du minerai. Il est assurément loisible aux

  1. Toutefois M. Guary a déclara devant la commission d’enquête que, depuis cinq ans, sur seize mille ouvriers occupés par la compagnie d’Anzin, cinq avaient fait des procès.