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perfectionnement. Stubbs montre très bien que les peuplades germaniques dépeintes par César et Tacite à cent cinquante ans de distance étaient dans une sorte d’état inorganique et qu’il n’y a rien à conclure des formes politiques encore indécises que ces excellons observateurs n’ont pu que saisir en un point de leur incessante mobilité[1]. Ce sont des nuées flottantes, qui, de loin et par le contour, peuvent ressembler à des montagnes. Il ne faut pas les prendre pour des montagnes. Stubbs confesse que les résultats fournis par l’érudition sont très « indistincts, » que même les témoignages du IXe siècle sur les Saxons, dans leur pays d’origine, sont vagues et obscurs, que, des Angles, Danois ou Normands, au moment de l’invasion, « on ne sait rien. » Ses aveux d’ignorance ou d’incertitude sont moins formels en ce qui concerne l’établissement anglo-saxon ; il reconnaît cependant « qu’il n’y a pas de sujet sur lequel on ait moins d’information » que l’administration du revenu public avant la conquête. Quant aux institutions sur lesquelles il se flatte d’être plus éclairé, ce qu’il dit lui-même des institutions similaires qui existaient à la même époque dans d’autres pays ôte aux premières le caractère et la valeur d’une invention originale et locale[2]. Ce sont, pour la plupart, des commencemens d’organisation qui répondent à un certain degré de civilisation et à un certain état social ; les mêmes influences de milieu les ont appelés au jour presque en même temps dans presque tous les pays de l’Europe. Les différences capitales qui se sont accusées postérieurement dans la constitution politique des états restent donc à expliquer par des causes plus récentes.

Freeman a dû singulièrement aventurer ses inductions et forcer les analogies pour établir non pas seulement le lien d’une tradition, mais une sorte d’identité entre le witenagemot anglo-saxon, et la chambre des lords actuelle[3] ; et Stubbs lui-même paraît s’être trop complu à considérer la cour de comté, institution d’avant la conquête, comme l’œuf vivant d’où est sortie spontanément la représentation parlementaire. Witenagemot et cour de comté languissaient et se mouraient au XIe siècle, et les institutions correspondantes qui paraissent après 1066 diffèrent par tant de points de leurs prétendus originaux qu’on peut les considérer comme des créations nouvelles. Elles doivent évidemment beaucoup plus au

  1. Stubbs, I, ch. II ; ibid., ch. III ; ibid., I, 143.
  2. C’est ainsi que Stubbs rapporte à des modèles carolingiens plusieurs des établissemens administratifs de Henri II, le scutage, l’assize of arms, l’inquest of sheriffs, etc. (Stubbs, I, 7-9.)
  3. « La chambre des lords, dit-il, représente ou plutôt est bien l’ancien witenagemot lui-même. » (The Growth of the English constitution, ch. II.)