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Après une heure de marche, nous arrivons sous les murs de Maroc, sur cette grande esplanade où Benjamin Constant a placé son brillant tableau des Derniers Rebelles, qui est actuellement au Luxembourg. Nous longeons pendant quelque temps les remparts : puis on nous conduit au palais, où le sultan nous offre l’hospitalité. C’est un palais mauresque situé au milieu d’un jardin planté d’orangers, de figuiers et de cèdres sur lesquels s’enroulent des vignes et des jasmins. Le bâtiment où nous logeons est de forme carrée, avec une cour au milieu : sur trois côtés un portique se développe avec ses arcades ogivales soutenues sur d’élégantes colonnettes ; le quatrième côté est fermé par un mur haut de vingt pieds, sur lequel des cigognes ont fait leur nid. La cour intérieure est couverte de parterres de fleurs et de bassins d’eau claire.


Maroc, le 9 mars.

Hier, qui était le jour même de notre arrivée, nous nous sommes rendus solennellement, mon collègue et moi, à la Mamounia, résidence du grand vizir, pour y traiter l’affaire qui nous amène ici.

Le palais du premier ministre se compose de quatre pavillons, assez simples d’architecture, situés au milieu d’un parc merveilleux. A l’ombre d’un bois de palmiers et de platanes gigantesques, une petite forêt a poussé, composée de cédratiers, d’orangers, de citronniers, de jasmins, de cyprès et de figuiers, plantés au hasard dans un désordre touffu ; sur leur masse sombre, des bouquets d’oliviers mettent par place une nuance gris d’argent.

Sidi-Mohammed-ben-Larbi, prévenu de notre visite, nous attendait, assis les jambes croisées, sur le seuil de son palais, au fond d’une longue avenue d’oliviers si hauts qu’ils formaient charmille au-dessus de nos têtes et si touffus que pas un rayon de soleil ne les traversait. Du fond de cette allée sombre, le grand vizir immobile, accroupi en pleine lumière, avait l’air d’une idole et semblait quelque bouddha placé devant son temple sous les figuiers de Bénarès ou d’Ellorah.

Un maître des cérémonies nous précédait ; l’ampleur de ses burnous, la largeur de son turban donnaient à sa démarche une majesté extraordinaire. Nous nous sommes approchés respectueusement de l’idole, qui, de près, n’avait plus aucun caractère divin : une face brutale, des yeux sans éclat, un parler difficile, une voix éteinte. Un thaleb, enveloppé dans un burnous d’une blancheur de neige, son encrier à la main, son écritoire sur son genou, prenait des notes, tandis que le grand-vizir nous écoutait ou nous questionnait.