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Maroc, le 10 mars.

Tout le temps que nos audiences avec le grand-vizir ou ses thalebs nous laissent libre, nous l’employons à courir la ville. Notre escorte est toujours à notre porte, prête à nous accompagner.

A la première impression, ce qui surprend le plus dans l’aspect général de Maroc, c’est son immensité. Par sa superficie et le nombre de ses habitans, Maroc est une des villes les plus considérables de l’Afrique. L’auteur de la Relation du royaume de Maroc, qui la visita au commencement du XVIIIe siècle, écrivait : « Marroque, ville plus grande que Paris, où le roi a son palais plus somptueux et plus magnifique qu’aucun autre du monde… Il peut y avoir cinq à six cent mille habitans. » La population a certainement décru de plus de moitié ; mais la ville a conservé ses vastes dimensions, et les murailles qui l’enferment se développent sur un circuit de trois lieues. La ville est tout entière bâtie en terre mélangée avec des cailloux et de la chaux ; seuls les palais, les mosquées et les maisons des gens riches ont quelques parties construites en pierre et sculptées dans le style arabe. Les maisons sont basses, et le plus souvent les murs mal entretenus menacent ruine. Point de fenêtres à l’extérieur, et peu de portes sur la rue : les maisons n’ont généralement d’issue que sur des ruelles aboutissant à une rue principale et munies d’un haut portail ogival que l’on ferme la nuit. Ce mode de construction donne à la ville une physionomie triste que n’animent ni le bruit des voitures (il n’y a pas dans le Maroc une seule paire de roues) ni l’agitation des habitans. La verdure intense des jardins et l’eau qui coule en abondance de tous côtés atténuent cependant cette impression de tristesse.

Maroc ne renferme qu’un monument important, le minaret de la mosquée de la Koutoubia, dont la Giralda de Séville est la copie. C’est une tour carrée haute de 250 pieds, percée à son étage supérieur d’une galerie de fenêtres mauresques. La décoration de ces fenêtres est un chef-d’œuvre d’élégance et de délicatesse qui rappelle les plus fines dentelures des rosaces gothiques. Sur le sommet de la tour, une seconde tourelle, plus étroite et peu élevée, a été construite, et le tout est surmonté de trois énormes sphères de cuivre, enfilées dans une forte tige de fer et qui scintillent dans le bleu du ciel. De merveilleuses légendes se racontent à leur sujet, et les habitans de Maroc voient en elles une sorte de palladium protecteur de leur cité. La tradition est ancienne, et j’en trouve le récit dans la relation d’un voyageur qui fut fait captif des Maures dans les premières années du XVIIe siècle : « Le corps des pommes de la Koutoubia est de cuivre couvert d’une grosse lame d’or de Tibar.