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vantaient la richesse de ses habitans et le luxe de ses villes. L’un d’eux ajoutait : « Leurs femmes sont blanches et se piquent d’estre belles et bien parées, portant force joyaux d’or, d’argent, de perles et de cornalines aux bras, à la gorge et aux oreilles : elles sont fort amoureuses des estrangers. » Au lieu de ce séduisant tableau, je n’ai sous les yeux, dans ce douar que nous traversons, que des femmes hâves, décharnées, épuisées de travail, défigurées par la misère et les maladies, sans pudeur. Mais, comme si la coquetterie était le dernier sentiment qui survive en la femme, un bracelet grossièrement argenté cercle leurs bras de squelette et une chaînette ornée de pendeloques rattache sur leurs seins les plis d’un haïck en lambeaux.


Rabat, le 38 mars.

Pour remonter de Dar-al Beïda vers le nord et atteindre Rabat, il nous a fallu traverser une région habitée par les tribus berbères des Zaïrs, qui sont actuellement en insurrection contre le sultan. Le pacha de Dar-al-Beïda, qui répond de notre sécurité, ajoute une soixantaine de cavaliers à notre escorte et nous recommande de faire marcher notre caravane en bon ordre, de serrer les distances et de ne laisser en arrière ni homme ni bête. Le soir, au campement, quelques sentinelles de plus que de coutume veillent autour de nous ; grâce à ces précautions, le lendemain, sans encombre, nous entrons à Rabat.

Rabat est situé à l’embouchure de l’Oued-bou-Ragrag, en face de Salé, la ville sainte. C’est, après Fez et Maroc, la ville la plus considérable de l’empire du Maghreb. Elle a eu ses jours de splendeur, comme en témoignent les ruines superbes de sa casbah, dont les portes ogivales aux fines dentelures de pierre sont du plus pur style arabe, et le minaret de sa mosquée inachevée sur le modèle duquel ont été construits les minarets de la Koutoubia de Maroc et de la Giralda de Séville.

Du haut de cette casbah, la vue est admirable : à 100 mètres à pic, sous nos pieds, l’océan qui vient battre le rocher lentement en lames larges et régulières, — devant nous la ville de Salé avec ses mosquées et ses jardins touffus, — puis, vers la droite, les ruines de Chellah et le grand minaret de Rabat. Le soir, au clair de lune, par une nuit limpide et étoilée, ce spectacle est enchanteur et le scintillement de la rivière, qui se glisse comme un long serpent d’argent entre les remparts des deux villes, lui donne un aspect fantastique.

A Chellah, qui est situé sur le fleuve, à 3 kilomètres de Rabat, s’élevait autrefois la colonie carthaginoise de Sala, point extrême