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n’avaient pour se mettre à l’abri de tout tracas qu’à faire, eux aussi, une renonciation. Mais la date récente de leur majorité permettait d’éviter cette complication de procédure ; un acte pouvait suffire au lieu de trois ; on n’en fit qu’un. Voilà, ce semble, leur seul intérêt dans l’affaire, et il n’en faut pas davantage pour expliquer l’irrégularité de la déclaration.

Un autre argument que l’on a voulu tirer de l’âge de Marie Hervé contre sa maternité tardive ne réussit pas davantage à la rendre invraisemblable. Son acte de décès, à la date du 4 janvier 1670, lui donnant quatre-vingts ans, elle aurait eu cinquante-trois ans en 1642, lorsqu’elle mit au monde sa dernière fille ; et l’on se refuse à admettre une aussi longue fécondité. D’abord, selon les lois de la nature, il n’y aurait là rien d’impossible, ni même de bien étonnant, et pour Marie Hervé moins que pour toute autre, puisque trois ans avant la naissance de la petite Armande, elle avait eu une autre fille, Bénigne-Madeleine, dont la trace est perdue, mais dont l’acte de naissance a été relevé. En outre, il n’est pas certain qu’elle fût aussi âgée que cela. Si son acte de décès lui donne quatre-vingts ans, l’épitaphe qui figurait sur son tombeau dans le cimetière Saint-Paul ne lui en donne que soixante-quinze, elle n’aurait donc eu d’après celle-ci que quarante-huit ans en 1642. Je viens de faire remarquer avec quelle facilité d’à-peu-près, durant les deux derniers siècles, l’âge des intéressés était indiqué dans les registres d’état civil ; les vicaires qui les tenaient ne prenaient pas toujours la peine de demander aux familles des renseignemens exacts. Marie Hervé étant une très vieille femme lorsqu’elle mourut, on la vieillit encore, pour la même raison que l’on devait, dans la même circonstance, rajeunir sa fille Armande, qui avait cinquante-huit ans et à qui l’on n’en donna que cinquante-cinq. Les épitaphes, au contraire, ne pouvaient être rédigées que d’après les indications des familles ; je ne serais donc pas éloigné de croire que celle de Marie Hervé donne son âge véritable. Ainsi, pour conclure cette longue discussion, rien ne s’oppose à ce que l’on attribue à Marie Hervé la dernière fille que tous les actes postérieurs lui conservent et que l’on tienne Armande pour la sœur de Madeleine. Nous retrouverons encore la légende et les systèmes que nous venons de combattre ; ils reparaissent, en effet, toutes les fois qu’un acte important de la vie des deux femmes remet en question leur parenté, mais les argumens dont on les appuie deviennent de plus en plus faibles à mesure que l’on avance ; le plus fort est tiré de la fausseté prétendue de l’acte dont j’ai essayé d’établir la sincérité.

De juillet 1638, où naquit la petite Françoise de Modène, à juin 1643, c’est-à-dire pendant près de six ans, on perd la trace de Madeleine Béjart. Demeura-t-elle à Paris, retourna-t-elle, ou alla-t-elle