Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et six autres comédiens, l’acte de constitution d’une troupe qui s’intitulait l’Illustre Théâtre ; il se décidait à monter publiquement sur les planches sous le nom de Molière. Pour donner ses représentations, la nouvelle troupe louait le Jeu de paume des Métayers, à la porte de Nesle, sur l’emplacement d’où partent aujourd’hui les rues de Seine et Mazarine. Molière fut certainement pour beaucoup dans la conclusion de ces deux contrats, et la petite somme qu’il emportait de la maison paternelle ne dut pas y nuire. Mais la part des Béjart, de Madeleine surtout, la forte tête de la famille, ne fut pas moindre. On remarquera d’abord que l’acte du 30 juin fut signé « en la maison de la veuve Béjart, rue de la Perle, » c’est-à-dire, en réalité, chez Madeleine, qui, depuis la mort de son père, avait recueilli sa mère pour ne plus s’en séparer. En outre, une comédie du temps, inspirée par une haine violente contre l’auteur de l’Amour médecin, mais pleine de renseignemens précieux, Êlomire hypocondre ou les médecins vengés, par un sieur Le Boulanger de Chalussay, imaginant une querelle de Madeleine avec Molière, marque expressément que ses frères et elle-même secondèrent de tout leur pouvoir l’association ardemment désirée par Molière. Le jeune homme, dans sa fureur de jouer, aurait songé un moment à se mettre comme bouffon aux gages de deux charlatans du Pont-Neuf, l’Orviétan et Bary. Madeleine lui disait donc :


Ce fut là que chez nous on eut pitié de toi.
Car mes frères, voulant prévenir ta folie,
Dirent qu’il nous fallait faire la comédie ;
Et tu fus si ravi d’espérer cet honneur,
Où, comme tu disais, gisait tout ton bonheur.
Qu’en ce premier transport de ton âme ravie
Tu les nommas cent fois ton salut et ta vie.


Ces frères étaient Joseph, que nous connaissons, et Louis. Bien que celui-ci ne soit pas nommé dans l’acte de société, il fit partie de la troupe jusqu’en 1670, époque où il embrassa, paraît-il, la profession des armes et devint lieutenant au régiment de La Ferté ; Joseph devait mourir prématurément en 1659.

Les débuts de l’Illustre Théâtre furent pénibles. En attendant que l’on eût terminé à la salle des Métayers les réparations et aménagemens nécessaires, la troupe fit à Rouen, dans la patrie des deux Corneille, une sorte de voyage d’essai, et, de retour à Paris, elle donna sa représentation d’ouverture le 31 décembre 1643. Grand concours de curieux pour cette première représentation ; c’est, du moins, l’auteur d’Élomire hypocondre qui le dit :


<poem>Ce fut un jour de fête, Car jamais le parterre, avec tous ses échos, Ne fit plus de ah ! ah ! ni plus mal à propos. </pem>