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effet, que les dix mille livres constituées à Armande par sa mère dans son contrat de mariage ne fussent qu’une libéralité déguisée de Madeleine. On fait observer, avec raison, que Marie Hervé ne possédait plus rien en propre, ou peu s’en faut. Les mauvaises affaires de l’Illustre Théâtre avaient absorbé ses petites reprises sur la succession de son mari ; deux ans après le mariage d’Armande, lorsque son autre fille Geneviève se mariait à son tour, elle ne lui donnait rien ; quelque temps avant sa mort, elle était obligée de recourir à Madeleine pour soutenir un petit procès. Naturellement, cette libéralité de Madeleine est présentée comme une preuve de sa prétendue maternité à l’égard d’Armande, comme si c’était la première fois qu’une sœur aînée riche ait doté une jeune sœur pauvre et préférée ! Il est encore plus simple d’admettre que la dot fut constituée par Molière lui-même, compensant de cette manière assez usitée la différence d’âge qui existait entre sa jeune femme et lui. On a remarqué, en effet, que la quittance par lui délivrée, quatre mois après le mariage, ne porte pas la mention d’usage que le paiement ait été fait en espèces.


VII.

Molière et Armande mariés, Madeleine n’avait plus qu’à continuer près d’eux son rôle d’amie et de sœur aînée ; j’aime à croire que, dans ce ménage souvent troublé, elle apporta plus d’une fois la conciliation. Au théâtre, malgré la vieillesse qui arrive, la comédienne est toujours des plus vaillantes. Elle joue dans la plupart des pièces de Molière, qui se succèdent si rapidement sans compter les pièces du répertoire courant, tragédies et comédies, qui alternent avec elles. Reine et soubrette, elle incline peu à peu vers les mères et les duègnes. Peut-être est-elle encore Georgette, dans l’École des Femmes, mais il semble plus naturel d’attribuer ce plaisant bout de rôle de petite paysanne à peine dégrossie et domestiquée à Mlle Marotte, la future femme de La Grange, actrice encore sans autorité ni expérience ; en revanche, on pourrait restituer à Madeleine le rôle de la précieuse Climène, dans la Critique de l’École des Femmes, attribué d’ordinaire à Mlle Marotte. Dans l’Impromptu de Versailles, où Molière, enlevant la toile de fond, nous a ouvert les coulisses de son théâtre et montré à nu le tripot comique, où il a marqué d’un trait rapide et définitif la physionomie de chacun de ses camarades, deux figures sont traitées avec une prédilection visible, Armande et Madeleine. Si l’on veut bien connaître celle-ci, c’est là qu’il faut la chercher. Elle y est tout entière, avec son franc parler, la rectitude de son esprit positif, sa bonne humeur railleuse, et aussi l’affection éclairée qu’elle portait à Molière. Elle le conseille, avec