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du castor et de l’abeille. Assurément les lois du travail humain ont quelque chose de fatal. Il ne dépend pas de nous de rendre le travail fécond sans lui donner des auxiliaires dans les instrumens, sans une entente préalable, sans le diviser plus ou moins. Cette nécessité ne suffit pas pourtant pour ôter à cet ordre de faits sa part de liberté, et dès lors d’erreurs, de fautes et aussi de perfectionnemens, attribut distinctif des œuvres de l’homme. M. Ch. Gide sait tout cela aussi bien que ses contradicteurs. Il n’ignore pas que le travail humain a son histoire, ce qui ne serait pas si la production humaine n’était qu’une « branche de l’histoire naturelle, » comme l’énonçait déjà expressément d’une façon très inexacte au sujet de l’économie politique tout entière l’auteur de l’article consacré à ce mot dans le Dictionnaire de L’économie politique. Branche de l’histoire naturelle ! N’est-ce pas là une définition bien imprévue, et que Buffon et Cuvier n’avaient pas plus devinée que Smith et John Stuart Mill ! Quant à la répartition des richesses, appelée « science juridique, » je ne prétends pas nier que ce dernier élément n’y occupe une grande place avec les coutumes, les contrats, la loi écrite consacrant ou établissant des droits qui déterminent les modes de répartition en une foule de cas. Il faut aussi reconnaître, indépendamment de toute loi écrite, la part des idées de justice naturelle dans le règlement des intérêts. La fixation des salaires, celle des profits, en portent la marque. L’idée d’équivalence dans l’échange relève de l’idée d’équité. On a aussi, dans l’intérêt du capital, égard à la privation, au risque ; cela paraît juste. Les circonstances morales de toute sorte pénètrent le fait économique, le modifient, lui créent ou lui ôtent des titres à une part proportionnelle plus ou moins grande dans la distribution des biens. L’aisance et la misère dépendent de nous en partie, récompense de nos efforts, ou châtiment de la paresse et de l’imprévoyance. L’idée morale n’est donc pas absente. A soutenir que la plus rigoureuse justice préside à la distribution des biens, il y aurait certes une naïve illusion ; prétendre qu’elle n’y est pour rien serait mutiler le monde économique.


II.

Le nouvel enseignement se trouvait placé entre les deux tendances qui se partagent aujourd’hui les économistes, et qu’on appelle le pessimisme et l’optimisme. Peut-être est-ce là une façon de désigner les écoles un peu absolues. Il est douteux qu’aucune professe un pessimisme tellement caractérisé qu’elle regarde le monde économique comme mal fait et comme allant de mal en pis. Aucun système n’aboutit à cette déclaration de désespoir qui interdirait