Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais ce n’est pas seulement dans les problèmes d’origine que les tendances risquent de différer, c’est dans l’étude des questions actuelles. L’école juridique est entraînée à étendre le domaine de la loi, l’école économiste à développer la sphère de la liberté. Cette disposition est encore confirmée par cette circonstance, qu’étant plus nouvelle comme science, elle a pour théâtre d’observation et pour champ d’expérience la société moderne, dans laquelle l’individu émancipé tient une place fort supérieure à celle qu’il occupait dans les sociétés antiques. Le penchant excessif à ne voir partout que des conventions s’est manifesté, chez les socialistes de la chaire, lesquels ont, pour la plupart, des origines juridiques, par la négation même des « lois naturelles » en économie politique. Autant vaudrait supprimer tout ce qui la constitue comme une science reposant sur un certain nombre de vérités générales. Quel nom pourtant donner à la loi de l’offre et de la demande, sinon celui de loi naturelle ? Ce n’est pas sans un peu de regret que nous avons vu récemment un écrivain, auquel nous ne pouvons refuser le titre d’économiste, et même d’économiste très distingué malgré ses affinités pour le socialisme de la chaire, abriter derrière l’autorité du jurisconsulte Paulus l’opinion singulière que la monnaie est une convention purement légale placée sous l’entière dépendance de l’autorité publique. C’est à la méthode historique qu’on invoque, qu’il faudrait justement demander la réfutation d’une doctrine démentie par les perturbations qu’a causées l’altération des monnaies toutes les fois que les princes y ont mis la main ; ce que nous savons des effets du maximum dans ses tentatives pour violenter la loi des prix montre assez que les républiques n’ont pas à cet égard les grâces d’état qui manquent à la monarchie. Cette absorption de l’économie politique par la jurisprudence marquerait un pas en arrière par l’attribution à la loi de faits sur lesquels elle n’a qu’une mesure d’action limitée. Ce serait trop rétrograder.

L’analyse scientifique a séparé les élémens économiques des élémens juridiques. D’autre part, les progrès de l’industrie ont amené des modifications qui exigent que le droit s’initie à cet ordre de faits et se pénètre à certains égards de l’esprit économique qui s’y applique. C’est ce que j’ai eu déjà l’occasion de montrer dans une étude consacrée au Droit industriel de M. Charles Renouard, qui a eu un des premiers la perception vive de cette vérité et qui a contribué à l’établir sur des fondemens solides ; il serait bon que les jurisconsultes économistes ne les perdissent pas de vue aujourd’hui surtout que l’union des deux sciences a reçu une consécration officielle. Au reste, le rapprochement doit se faire également de la part de l’économie politique avec les méthodes historique