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soit économique. Le ressort est où est la vie, dans la personne, non ailleurs. L’état à bases scientifiques, du moment qu’il est collectif, ne peut avoir la même force d’impulsion et la même fécondité. L’état rationnel n’en sera pas moins composé d’hommes faillibles. La sûreté et la souplesse manqueront toujours plus ou moins à ses opérations, et ce sera, quoi qu’on fasse, trop demander à l’intérêt général, représenté par une gérance, que de prétendre qu’il tienne la place des intéressés directs aussi bien qu’ils la tiennent eux-mêmes.

Ce n’est pas sans regret qu’on verrait des esprits distingués, en possession de parler avec autorité à la jeunesse, montrer de telles défiances, exprimer de telles réserves sur le principe même qui fait, en définitive, la valeur et la force de la société moderne. Ouvrir au socialisme d’état des perspectives d’avenir n’est assurément pas ce qu’il y a de plus opportun dans la situation de l’esprit public et de la France. L’idée de l’intervention légale nous a paru trop envahir aussi des questions spéciales, mais importantes, où la liberté économique réclame de plus en plus une extension conforme à la fois aux principes de la science et aux tendances les plus marquées de la civilisation. La manière dont M. Cauwès traite la liberté du commerce ne sera certainement pas pour satisfaire les économistes. Nous admettons que la méthode historique et l’expérience puissent empêcher de voir, dans le libre échange, une de ces vérités absolues qui s’imposent de toutes pièces à tous les temps. Un certain degré de tutelle des industries naissantes, la nécessité des transitions, l’opportunité de certaines exceptions, peuvent être indiquées avec autant de force qu’on voudra. Encore faudrait-il que la liberté commerciale fût mise en relief suffisamment pour ne pas être étouffée sous les réserves au point de paraître s’effacer devant le système contraire. N’y avait-il rien de mieux à faire que de s’attarder à rajeunir la vieille thèse de la balance du commerce? Que dire, enfin, du plaidoyer en faveur des lois limitatives du taux de l’intérêt, présentées comme palladium de l’emprunteur en des termes tels qu’il ne s’agit plus d’une simple affaire d’opportunité dans leur abolition ? On ne nommerait peut-être pas un seul économiste, depuis Turgot et Bentham, qui ait eu l’idée de présenter une telle prohibition comme une nécessité permanente, et d’ériger la loi de 1807 en un dogme scientifique immuable. C’est faire rétrograder la jurisprudence elle-même, quand on voit cette législation abolie aujourd’hui chez presque tous les peuples civilisés. Ainsi la liberté du prêt serait une vérité partout, excepté en France et dans un petit nombre de pays. Le ménagement pour les préjugés ou la situation des campagnes, qu’on invoque, à tort ou à raison, au nom de la