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n’étonnerai personne, je pense, — et pas même les naturalistes, — si je dis tout de suite que Monsieur de Camors est de ceux-là. Julia de Trécœur, dont on vient aussi de nous donner une édition nouvelle, en est également.

Je n’ai pas l’intention, à ce propos, de tenter ici ce qu’on appelle une « étude » sur l’œuvre entière de M. Octave Feuillet. Pour qu’elle fût digne de l’œuvre et du romancier, il y faudrait plus de place que je n’en puis prendre. L’œuvre n’est pas volumineuse, mais elle est considérable ; et, quant au romancier, je ne saurais caractériser à mon gré les transformations successives de son talent sans écrire un chapitre entier de l’histoire littéraire de ce temps. Il j a deux hommes en effet dont je ne trouve pas que la critique ait exactement défini la situation toute personnelle dans ce siècle entre le romantisme finissant et le naturalisme naissant : l’un est l’auteur de Colomba, de la Vénus d’Ille, de Carmen, et l’autre est celui de la Petite Comtesse, de Monsieur de Camors, de Julia de Trécœur. En traitant des sujets plus particuliers, je veux dire d’un particularisme local ou d’une singularité psychologique plus marqués, personne, que je sache, non pas même Flaubert ou Stendhal, ne s’est montré dans l’exécution plus « réaliste » que Prosper Mérimée; mais personne, inversement, et tout en prenant ses sujets au cœur de la réalité vivante, n’a mieux su maintenir dans le roman les droits du « romanesque, » non pas même George Sand ou Jules Sandeau, que M. Octave Feuillet. Les naturalistes, et bien d’autres avec eux, s’y sont étrangement mépris. Car je ne veux pas croire qu’ils aient manqué de franchise, et, quand ils ont affecté de ne faire aucune différence entre Colomba, par exemple, et les Trois Mousquetaires, non plus qu’entre les Mémoires du Diable et Julia de Trécœur, je suis bien convaincu qu’ayant les yeux qu’ils ont, ils n’en voyaient aucune. Ce ne serait donc pas seulement faire œuvre de justice, mais aussi de charité, — s’il n’était de pires aveugles que ceux qui ne veulent point voir, — que d’essayer de leur apprendre à faire ce discernement nécessaire, et nous en tenterions volontiers l’aventure, si ce n’étaient les raisons que nous disions tout à l’heure. Mais nous pouvons du moins, avec Monsieur de Camors et Julia de Trécœur sous la main, leur montrer une fois ce que c’est que l’idéalisme dans l’art, dans le roman particulièrement, et que peut-être il diffère autant de ce qu’ils ont accoutumé d’entendre sous ce nom que de leur naturalisme même.

On peut dire que le premier point de l’esthétique idéaliste, c’est que l’art est fait pour plaire. On entend tout simplement par là que les hommes ne l’ont point inventé pour ajouter une raison de plus à toutes celles qu’ils pouvaient avoir de se plaindre de la vie. Cette vérité paraît évidente, ou, si l’on veut, banale. Si vous allez contempler