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D’Oran, le fléau envahit Mascara et Tlemcen. Les grands projets d’Abd-el-Kader en furent quelque temps retardés, mais il n’en continua pas moins ses apprêts. Non loin de Mascara, il avait un camp permanent où 800 Kabyles étaient exercés à l’européenne; c’était un Allemand, déserteur de la légion étrangère, qui organisait et instruisait ce premier bataillon de réguliers. Attentif à prévenir ou prompt à réprimer tout essai d’insurrection contre son pouvoir, l’émir avait fait saisir le grand cheikh de la plus puissante tribu du Chélif, Sidi-el-Aribi, que le choléra vint achever dans la prison de Mascara. Son autre ennemi, Moustafa-ben-Ismaïl, s’était mis hors de son atteinte, dans le Méchouar de Tlemcen.

Sauf cette citadelle et les villes du littoral occupées par les Français, tout le beylik d’Oran était à lui ; dans le beylik de Titteri, on l’attendait ; ses messagers annonçaient son arrivée prochaine. Une première fois il s’était arrêté devant l’opposition du général Voirol ; quoique Miloud-ben-Harach n’eût pas trouvé le comte d’Erlon plus favorable, il était décidé à tenter l’aventure. « Laissez-moi, disait-il au général Desmichels, me rendre maître de toutes les tribus de l’intérieur, à l’est et à l’ouest ; vous garderez la côte, et alors la paix qui existe entre nous assurera la tranquillité. » Le général était d’avis de le laisser faire ; mais le comte d’Erlon, que cette idée ne hantait pas encore, écrivit en sens contraire aux gens de Blida, de Coléa, de Médéa, de Miliana et de Cherchell : « Abd-el-Kader vous a trompés et a menti ; son invasion serait un acte d’hostilité, car il n’a aucun droit sur la province d’Alger, lui qui ne tient sa force que des Français. S’il se présente pour vous soumettre, recevez-le en ennemi, car il se sera rendu parjure. Conduisez-vous selon mes intentions, sinon Dieu jugera entre nous. Faites savoir mes volontés à toutes les tribus. »

Sur ces entrefaites, le général Desmichels fit porter à l’émir, par un des officiers de son état-major, le capitaine Walewski, des conseils de modération. L’émir se récria d’abord ; il fit voir à l’officier français les députés de Miliana et de Médéa, qui le pressaient de leurs instances; il lui montra des lettres venues des montagnes de l’est, du pays des Grands Kabyles; puis il consentit à différer son départ, tout au moins à n’aller pas plus loin que Miliana. Éclairé, avec le temps, sur l’imprudence de ses premières négociations, le général Desmichels aurait bien voulu remplacer son traité en partie double par un acte plus correct, et il avait chargé le capitaine Walewski d’en faire la demande à l’émir. Celui-ci n’y contredit pas; des préliminaires furent arrêtés même : la France aurait eu tout le littoral de la régence, sauf Mostaganem et Cherchell, réservés avec tout l’intérieur à la domination d’Abd-el-Kader, qui aurait renoncé pour sa part au