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seuls sous l’influence de la lumière blanche. On peut donc dire, avec MM. Bain et Spencer, que, pour se rappeler la couleur rouge, il faut éprouver, à un faible degré, l’état mental que la couleur rouge produit. De plus, toute image, toute idée enveloppe quelque tendance à l’action et au mouvement, et c’est surtout en ce sens qu’elle mérite de s’appeler une « force. » Les idées abstraites elles-mêmes produisent des mouvemens élémentaires aboutissant à la représentation et à l’articulation des mots qui les expriment.

L’image n’étant qu’une répétition des sensations, émotions, pensées, accompagnée de mouvemens à l’état naissant, le pouvoir de conserver les images ne peut être qu’une aptitude à les renouveler et à répéter les mouvemens qui en résultent ; c’est donc une habitude. Les psychologues de l’école spiritualiste, avec Aristote, Leibniz et M. Ravaisson, conçoivent cette habitude comme une tendance de l’esprit ; mais qu’est-ce qu’une tendance, et une tendance spirituelle ? Nous n’avons une conscience déterminée que de certains états plus ou moins intenses ou de certains actes plus ou moins énergiques, nullement de tendances ou d’habitudes qui ne seraient ni des états ni des actes, mais des puissances occultes. Ce n’est pas dans ces insondables puissances de l’âme, c’est dans les organes et le cerveau que la science positive doit chercher les conditions déterminables du souvenir. À ce point de vue, le mécanisme qui rend possible la survivance des images en l’absence même des objets peut s’expliquer de trois manières principales, entre lesquelles les physiologistes se divisent : 1o comme un mouvement persistant dans le cerveau ; 1o comme une trace persistante dans le cerveau ou résidu ; 3o comme une disposition persistante dans le cerveau. M. Ribot n’admet guère que la troisième hypothèse. Il semble la croire plus nouvelle qu’elle ne l’est en réalité, car nous la retrouvons dans Érasme Darwin, dans Maudsley et dans Wundt. Selon nous, les trois explications contiennent une part de vérité et, quand on abstrait le côté mental, elles se ramènent, en définitive, à une persistance de mouvemens ou, si l’on préfère, à une persistance de force.

La première théorie, avons-nous dit, explique la conservation des images par une prolongation de mouvemens dans le cerveau. Certains phénomènes inorganiques offrent des analogies plus ou moins lointaines avec cette persistance des vibrations cérébrales une fois produites. Selon le docteur Luys, qui s’est un peu trop contenté de cette explication, la mémoire serait une sorte de phosphorescence cérébrale, analogue à la propriété qu’ont les vibrations lumineuses de pouvoir être emmagasinées sur une feuille de papier et de persister