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tact, l’odorat, le goût, gagnent en finesse et distinguent des différences qui, sans cela, n’auraient pas été distinctes : c’est là une loi de l’attention bien connue. N’a-t-on pas cent fois remarqué qu’en dégustant un vin on en reconnaît l’arôme et le cru ? qu’en flairant une odeur composée de rose, de jasmin et de violette, on en peut discerner les principaux élémens ? Les nerfs sont, comme des cordes de violon qui vibrent mieux et plus rapidement quand elles sont tendues. Et cette loi en entraîne une autre. L’attention consciente, en réalisant ainsi une partie des conditions nécessaires à la perception, rend la perception plus prompte en même temps que plus facile. La vitesse de la perception est augmentée. C’est ce que prouvent les expériences « psychophysiques » qui montrent que, si je suis attentif, la durée nécessaire à la perception devient de plus en plus voisine de zéro. C’est que la perception à laquelle on fait attention est attendue, donc pressentie, donc déjà partiellement sentie et commencée ; la conséquence est une plus grande rapidité dans l’achèvement. Quelquefois même l’attente suffit à produire la sensation attendue, qui devient ainsi hallucinatoire ; c’est ce qu’ont bien montré MM. James Sully et Richet. Faites croire à des personnes qu’il y a dans un jeu de cartes une carte magnétisée qui leur donnera des sensations électriques, la plupart croiront sentir des frissons, des secousses dans la main, des éblouissemens dans la vue. En un mot, faire attention à une représentation, c’est l’accroître et l’achever en soi-même, comme si notre main passait à l’encre un dessin vaguement crayonné. Le souvenir cherché est un souvenir dont on a trouvé le commencement ; le problème posé est un problème dont la solution se prépare. De là cette puissance des idées directrices, des idées-forces, trop méconnue par ceux qui font de la conscience une lueur inerte et extérieure aux choses qu’elle éclaire. Les grandes idées qui dirigent les penseurs sont des soleils qui agissent par leur lumière même et non pas seulement, comme les autres, par une gravitation en apparence indépendante de leur lumière.

Non-seulement la conscience, sous sa forme réfléchie, a ainsi le pouvoir de réagir sur la conservation et sur l’association mécanique des idées, mais encore elle est absolument nécessaire à cette troisième fonction qui est la vraie caractéristique de la mémoire mentale, la reconnaissance des souvenirs. L’automatisme que nous avons décrit explique simplement la renaissance des idées semblables et non leur reconnaissance comme semblables. Cette reconnaissance sera l’objet de notre prochaine étude. Dès à présent, nous pouvons conclure que, dans ses deux premières fonctions, la mémoire est indivisiblement physique et mentale, physique pour le