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si le propriétaire n’est pas présent ; celui-ci, en revanche, avec son simple : Dour! dour ! (tranquille) parvient souvent à apaiser son coursier, tandis qu’un étranger y risquerait ses os. Mais l’amour du Tekké pour son cheval n’est pas si désintéressé, car le cheval, c’est son gagne-pain, la source de sa richesse. Si le Tekké est sale, vêtu de haillons sordides, s’il ne déploie même pas de luxe dans ses armes, son cheval et sa femme donnent l’idée de son aisance ; les harnais et les brides sont plaqués d’argent, tout comme sa femme est couverte de bijoux précieux, fruits des alamanes.

Le proverbe turcoman dit : « On clouerait plus facilement chaque grain de sable du désert que de fixer le Turcmène, » et : « Le Turcmène à cheval ne connaît pas son père. » Sauvage, indomptable, puissamment aidé par son rapide coursier, il est devenu, grâce à la lâcheté de ses voisins, le brigand redouté qui, pendant de longues années, portait la terreur sur son passage. L’alamane était le but de son existence, le seul moyen d’acquérir la réputation et la fortune; l’alamanetchik, qui ailleurs s’appellerait voleur de grand chemin, loin d’être méprisé, était chanté par les poètes comme un preux chevalier. Cette chasse à l’homme, dirigée contre une tribu ennemie, procurait au vainqueur des bestiaux et des prisonniers produisant une rançon considérable. De leurs incursions en pays d’infidèles, comme la Perse, les alamanetchiks ramenaient des troupeaux de kizirbach (terme de mépris donné aux Persans) qui alimentaient les marchés d’esclaves de l’Asie centrale.

Le nombre des cavaliers prenant part à une alamane variait de 3 à 1,000, et quelquefois davantage. Si le Turcoman, dans son aoul, n’admet pas de maître; dans l’alamane, il se donnait un chef auquel il obéissait aveuglément. La connaissance des chemins, des puits, le don du commandement, joints au courage personnel, étaient nécessaires pour devenir serdar (chef d’expédition); le courage personnel, seul, donnait le titre de butter ou batter ou batyr (preux, chevalier). Dans l’Akhal, qui a produit les plus fameux serdars des dernières guerres, il y en avait dont la spécialité consistait à diriger les alamanes dans les états de l’émir de Boukhara ; d’autres, connaissant les ressources et les puits du grand désert, menaient leurs bandes contre les Turcomans de Khiva ; enfin les plus nombreux dirigeaient leurs expéditions au sud-ouest, sur les provinces de Boudjnourd, de Kélat et de Déréghez. Le métier d’alamanetchik exigeait un bon cheval, des armes, du courage et le mépris de la mort. Si les chaleurs imposaient en général une trêve aux alamanes des Turcomans, les Tekkés exerçaient leur métier durant toute l’année ; pour eux, il n’y avait pas de saison morte.

Les nouvelles marchent vite dans l’Akhal ; aussi, dès que le bruit