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Hérat est certainement une place importante, car cette ville de 15,000 habitans peut alimenter 30,000 hommes, tandis que l’armée de la Transcaspie ne s’approvisionne que difficilement, soit au Khorassan, soit par les transports qui lui arrivent par la mer Caspienne et le chemin de fer de Kizil-Arvat. Lorsqu’il s’agira de Hérat, il est à prévoir que la Russie, pour trancher cette question brillante et calmer les Anglais, le donnera à la Perse. Quant à relier cette ville à la mer Caspienne par une voie ferrée, personne n’y songe; ce serait ouvrir l’Asie centrale aux produits de l’industrie britannique, qui feraient une concurrence désastreuse aux fabricans russes.

Si, jusque dans ces derniers temps, les Russes manquaient de base dans l’Asie centrale, il en est autrement depuis qu’une frontière naturelle se montre en perspective, leur assurant une forte défensive ; au sud, les Turcomans soumis et la communication entre Sarakhs et la mer Caspienne établie par un chemin de fer. La Russie, qui, jusqu’à présent par principe, n’a employé que des troupes européennes, grâce à ce chemin de fer, peut jeter en peu de temps et sans difficulté une grande armée au cœur de l’Asie, et la mer Caspienne possède assez de bateaux pour transporter rapidement les troupes du Caucase jusqu’au chemin de fer transcaspien. Si l’Angleterre dispose de 200,000 hommes aux Indes, jusqu’à quel point pourrait-elle s’y fier dans le cas d’une guerre sur les frontières de l’Afghanistan? Pourrait-elle seulement en détacher 30,000 combattans sans éclaircir ses garnisons? Et, fût-il possible de jeter 50,000 Hindous sur Hérat, quelle confiance pourrait-elle avoir dans ces mercenaires? En cas d’insuccès, se rend-on bien compte, en Angleterre, des suites d’un désastre, puisque de l’Himalaya à l’embouchure de l’Indus il n’y a guère de forteresses pour défendre les passages des montagnes; ou s’imagine-t-on que les quelques fortins, à demi ruinés, des indigènes et les blockhaus servant d’abri aux gardes-frontières arrêteraient une armée d’invasion accrue par des auxiliaires bien autrement sérieux que ceux dont l’Angleterre dispose aux Indes? On connaît parfaitement en Russie le puissant appui que les contingens indigènes pourraient offrir. Le petit corps d’élite des Turcomans, commandé par le lieutenant Lopatinski, a prouvé qu’en très peu de temps il était possible de créer une excellente cavalerie avec ces nomades. Quant aux Kirghiz, leur attachement et leur fidélité ont été prouvés dans la campagne de Khiva. Montrez aux pauvres habitans de l’Asie centrale le chemin que leurs ancêtres ont pris pour entrer dans le Pendjab, et Turcomans de Khiva, du Gourghen, Kirghiz et Afghans afflueront en si grand nombre au quartier général, qu’on ne saura qu’en faire. Ce sera une gigantesque alamane, un retour des invasions mongoles,