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nous verrons qu’à chacun de ces domaines si différens le libéralisme a prétendu appliquer les mêmes maximes, les mêmes solutions rationnelles, résumées dans les deux termes de liberté et d’égalité. Nous verrons que presque partout ces principes ont donné des résultats incomplets et souvent tout autres que ceux promis par la théorie. Nous verrons que, dans toutes ces sphères si diverses, le libéralisme s’est heurté aux mêmes écueils, aux mêmes résistances des choses et des hommes, aux mêmes prétentions et exigences de la démocratie. Dans le gouvernement intérieur des états, dans les relations des peuples entre eux, dans les luttes confessionnelles, jusque dans les rapports sociaux et le vaste domaine économique, nous aurons à constater une évolution analogue, les mêmes espérances, la même foi dans la notion du droit et dans la liberté, puis les mêmes déceptions, les mêmes doutes, le même désenchantement, les mêmes découragemens et souvent les mêmes révoltes, les mêmes volte-face.


II.

Dans l’ordre politique, la prétention du libéralisme était de transporter l’axe du gouvernement des anciens pouvoirs traditionnels à la nation représentée par ses élus. Au vieux principe de la souveraineté personnelle d’un chef héréditaire il tendait à substituer, sinon toujours en droit, du moins en fait, la souveraineté nationale, pratiquée à l’aide d’une sorte de sélection. Si l’on différait sur la manière d’entendre et d’appliquer le nouveau principe, sur la forme à donner aux institutions nouvelles, république ou monarchie, sur le mode de recrutement des élus du peuple et l’extension du droit de suffrage, on était d’accord sur la supériorité, ou mieux sur l’excellence du régime représentatif. Vers 1830, par exemple, ce dogme essentiel du libéralisme comptait, dans toute l’Europe cultivée, bien peu d’incrédules. Ce régime représentatif, on ne le croyait pas seulement préférable à tout autre, on était porté à lui prêter, sinon toutes les perfections, du moins des vertus incompatibles avec les passions humaines.

On se flattait d’avoir ainsi un gouvernement plus national et à la fois plus compétent, un gouvernement réunissant toutes les capacités politiques du pays et ne servant d’autres intérêts que les intérêts du pays. Tandis qu’un prince, isolé sur son trône, semblait hors d’état de découvrir, sur la vaste surface du territoire, les hommes les plus aptes à la vie publique, il semblait que la nation, directement consultée, dût sans peine les mettre d’elle-même