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en lumière. Tandis qu’un monarque, imbu de préjugés dynastiques, ou cédant à des influences de cour, paraissait exposé à foire prévaloir une politique de famille ou de caste, un pouvoir issu des entrailles de la nation semblait ne devoir s’inspirer, au dedans comme au dehors, que du bien public. L’événement a, sur ces deux points, démenti les promesses du libéralisme, et ce ne sont pas les seuls sur lesquels la théorie ait été trouvée en défaut. Le gouvernement représentatif a, par le jeu même de ses ressorts, si bien trompé les calculs de ses premiers fauteurs, que le libéralisme a fini par lui demander tout autre chose que ce qu’il en attendait à l’origine : il s’est parfois résigné à regarder comme un bien ce qu’il eût de prime-abord condamné comme un mal. Ainsi en est-il notamment du gouvernement des partis.

A quoi, là où il a le champ libre, aboutit le régime représentatif, le gouvernement fondé sur la volonté nationale ? Au règne des majorités, ce qui revient à dire au règne des partis, — et que de vices de toute sorte implique ce seul mot : « gouvernement de parti ! » Tel est pourtant, en monarchie comme en république, le terme fatal de l’évolution constitutionnelle arrivée à son plein développement. Sur ce point essentiel, le régime représentatif a donné de tout autres fruits que ceux qu’on se croyait en droit d’en attendre. Il semblait de loin qu’en remettant le pouvoir aux délégués de la nation, on aurait un gouvernement plus dégagé de vues particulières, plus libre de l’esprit de coterie, plus ménager de la fortune publique ou n’en disposant qu’au profit de tous, un gouvernement, en un mot, uniquement préoccupé de l’intérêt général. Naïve erreur dont l’expérience a partout fait justice ! Le gouvernement de tous, ou mieux le gouvernement au bénéfice de tous, est une chimère dont le régime représentatif éloigne plutôt qu’il n’en rapproche. La nation, être impersonnel et multiple, n’a pas une volonté ; elle en a d’ordinaire plusieurs en contradiction entre elles sur le même objet. La nation ne pense point, n’agit point, ne vote point en bloc ; elle est partagée en opinions diverses, en factions opposées qui ont chacune leurs tendances, leurs passions, leurs préjugés, leurs intérêts distincts. Dès qu’il est libre, un pays se trouve coupé en partis, sorte d’armées civiles sans cesse en campagne, qui, toutes, ont le même objectif, la conquête du pouvoir : victorieuses, elles s’y enferment et s’y retranchent comme dans une forteresse, en barrant les avenues et en murant les portes ; vaincues, elles ne reculent devant aucune violence ou aucun stratagème pour en reprendre possession. De loin, le régime représentatif apparaissait comme une ère de paix et de concorde ; de près, il aboutit plutôt à un état de guerre permanent ; et plus ouverte est l’arène politique, plus nombreux