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abandonnée à ses instincts, le terme suprême de révolution politique du monde moderne.

Heureusement pour nos sociétés qu’aucune force, si puissante qu’elle semble, n’agit seule, comme dans le vide, et n’a le champ entièrement libre. Heureusement qu’en dépit des philosophes, l’histoire n’est pas un théorème qui se déroule conformément aux lois de la logique, l’humanité ayant toujours la ressource de l’inconséquence. Laissons donc ces perspectives trop sombres ; ne prétendons pas déterminer de loin la courbe inconnue des révolutions de la démocratie moderne. Aussi bien les élémens nous en feraient défaut. Contentons-nous de voir quel aspect ont pris les données de ce vieux problème politique, dont la solution semblait autrefois si facile. — Un fait frappant, c’est que l’irruption de la démocratie a ébranlé la plupart des conquêtes du libéralisme, jusqu’aux droits et aux axiomes qui paraissaient le mieux acquis. Combien de questions, que nos pères de 1830 eussent crues à jamais tranchées, sont de nouveau retombées, en théorie ou en pratique, au rang d’obscurs problèmes ! Dans l’état à base élargie du suffrage universel, tout se trouve remis en question, et la forme, et le fond, et la matière, et le moule du gouvernement ; non-seulement la monarchie ou la république, choses après tout d’importance secondaire, mais le parlementarisme, mais le régime représentatif, mais les droits, les fonctions et l’existence même de l’état.

Le libéralisme se flattait de posséder un type de gouvernement capable de se prêter au développement indéfini des institutions libres, et ce type, le parlementarisme, faussé par l’inique prépotence des partis, déconsidéré auprès des gens paisibles par ses agitations trop souvent stériles, suspect à la démocratie pour ses lenteurs et ses complications, semble à bien des esprits de tendances diverses, vieilli et usé avant d’avoir eu le temps de s’adapter au continent. Le nouvel édifice politique, élevé aux applaudissemens de nos pères sur la base des principes rationnels, est à peine construit, qu’avant d’être achevé, il est sourdement miné par les forces sur lesquelles il repose. Le scepticisme se fait jour chez les plus confians jadis. Dans leur désarroi, plusieurs en viennent à regretter l’ancienne société hiérarchique dont ils avaient célébré la chute et se montrent disposés à prêter la main à sa reconstruction. De tous côtés, les penseurs se demandent avec inquiétude sous quel refuge abriter les destinées de la société nouvelle, sur quel plan rebâtir pour elle une demeure qui dure. On a conscience d’être dans une période de transition, de transformation dont on n’ose prévoir le terme. On sent vaguement que les peuples contemporains n’ont pas encore trouvé leur assiette ni l’état moderne sa forme définitive ; et les hommes qui ont voué leur foi à la liberté se demandent avec anxiété ce que