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                    ÉVA, impatientée.

                    Mais, maître.
Vous devez bien sentir
Ce qui me fait souffrir.

                    SACHS.

Mais comment sont-ils à la fois
Et trop larges et trop étroits ?


On le voit ; nous ne sommes plus dans la légende ; c’est la nature qui parle ainsi. Ces personnages sont Vivans ; ils sentent, surtout ils souffrent comme nous. Qui n’a connu la torture d’Éva ? Comme on comprend le cri de soulagement qui lui échappe lorsqu’elle a ôté son soulier ! Walther paraît à ce moment. En voyant le cordonnier aux genoux, non, aux pieds de sa bien-aimée, le bon Walther comprend tout de suite. Aucun soupçon ne l’efïleure : la posture de Sachs n’a rien que de professionnel. Ébloui par ce pied déchaussé, le chevalier s’exalte. Il reprend sa romance ; Éva l’écoute en extase. Mais le bon Sachs a forcé la bottine. Éva la remet sans peine, et quand le pauvre artisan, tout ému, lui demande :


Dis-moi, mon cher trésor,
Si tu souffres encor ?


elle éclate en sanglots et se laisse tomber dans les bras de son cordonnier.

Allégorie charmante, direz-vous ; prétexte ingénieux d’Éva pour parler de son amour ; de Sachs, pour ménager une entrevue aux deux amans. Mais le prétexte est mal choisi ; l’idée manque de grâce, au moins de grâce française. Nous ne pouvons admettre qu’on fasse ainsi du sentiment à propos… de bottes. Heureusement cette parodie de Cendrillon s’achève par une page qui serait belle partout, et qui semble magnifique ici : un quintette vraiment musical, vocal même, un peu traité dans la meilleure manière italienne. L’idée est large et l’ensemble est d’une superbe envergure. On accueille ce quintette avec joie, presque avec transport. Hélas ! après cet éclair passager, la nuit se fait plus obscure, et ne se dissipe pas. La dernière scène, le concours définitif, est un de ces ensembles plus bruyans que puissans dont Wagner abuse ; une suite de chœurs et de marches. Orchestre sur le théâtre, défilé, rien n’y manque, hormis le génie. Ce finale, au bout de cette œuvre fatigante, porte le dernier coup.

Une pièce plus qu’insipide, une musique souvent plus qu’ennuyeuse, qui parfois intéresse par sa valeur technique et son procédé merveilleux, mais qui n’émeut presque jamais par sa beauté pure ; telle a été sur nous l’impression générale des Maîres-chanteurs.