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particuliers, elle est comme tous les autres gouvernemens. Elle peut vivre si elle suffit aux intérêts du pays; elle ne sera sûrement pas sauvée par le fétichisme d’une majorité ou de ceux qui parlent en son nom, elle n’échappera pas à la loi commune, si les républicains continuent à la compromettre, à la déconsidérer par leurs fautes et par leurs excès. M. Ribot est un esprit trop éclairé pour s’abuser lui-même, et si, pour faire plaisir aux républicains, il représente la république comme le seul régime nécessaire et définitif, c’est sans doute afin de se mettre plus à l’aise et de se donner le droit de mieux montrer comment elle peut périr en dépit de son éternité.

Il y a un autre point sur lequel M. Ribot, probablement par prudence, se croit obligé à quelques concessions aux préjugés et aux passions de parti. Le brillant orateur de Saint-Pol ne veut pas être soupçonné d’avoir des connivences avec les oppositions conservatrices. Il consacre une bonne partie de son discours à traiter assez durement ces malheureux conservateurs, ces réactionnaires qui se coalisent « pour détruire et non pour fonder, » qui se préparent à livrer un nouvel assaut à la république. Il a même quelques paternelles sévérités pour cette masse de conservateurs plus calmes, moins irréconciliables, qui ont paru un moment vouloir se rattacher à la république et qui depuis quelque temps se refroidissent, hésitent, « tournent même parfois leurs regards indécis vers les monarchies qu’on leur représente comme le remède suprême à tous les maux. » M. Ribot ne se dissimule pas que cette opposition conservatrice croissante est un danger pour la république, qu’elle est surtout une cause de faiblesse pour les républicains modérés qui auraient eu grand besoin d’un tel appui. C’est évident, et ici encore il faut rester dans la vérité. Oui, certainement, les conservateurs qui, sans être irréconciliables, rentrent par degrés dans l’opposition, auraient pu être une force précieuse pour la république, et des politiques prévoyans auraient dû mettre leur habileté à s’assurer leur appui.

Il y a eu un moment où ces conservateurs sérieux, désintéressés, qui forment la masse la plus solide de la nation, ne demandaient pas mieux que de se rallier, de se prêter à l’établissement d’un régime équitable et sensé, garantissant les grands intérêts publics, l’ordre et la paix dans le pays; ils se sont offerts, ils ont même quelquefois donné leurs votes. Ils se sont refroidis depuis, c’est bien certain, et, en s’éloignant, ils emportent tout ce qu’ils auraient pu assurer de force et de stabilité à un régime nouveau; mais s’il en est ainsi, à qui donc la faute? Est-ce que les conservateurs eux-mêmes ont pris l’initiative de cette rupture, de cette scission par une fantaisie d’hostilité renaissante? Est-ce qu’ils ont obéi à quelque mot d’ordre de guerre venu on ne sait d’où, aux propagandes monarchistes? C’est, en vérité, la politique républicaine elle-même qui a mis tout son zèle à les décourager et à les irriter ; elle