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n’a cessé depuis quelques années de les troubler, de les froisser dans leurs sentimens, dans leurs croyances, dans leurs intérêts, dans leurs besoins de sécurité, avec tout ce système de persécutions, de guerres religieuses, de gaspillages financiers, d’expéditions lointaines. On a tout fait pour les aliéner et les repousser dans l’opposition ; on a préféré à leur concours l’appui des radicaux, et on est arrivé à créer cette situation assez étrange où des hommes qui prétendent fonder des institutions, un gouvernement, ont réussi à mettre contre eux tous les élémens vigoureux et solides, les forces conservatrices du pays.

Voilà la vérité telle qu’elle apparaît! M. Ribot, avec sa raison sérieuse, ne peut pas s’y méprendre; il sait bien d’où est venue cette évolution d’opinion qui l’inquiète, ce qui pousse les conservateurs dans l’opposition ; il signale lui-même les fautes de la politique républicaine qui ont eu ce dangereux résultat, et quel moyen a-t-il de remédier à un mal dont il ne méconnaît pas la gravité? Franchement, on ne voit pas bien quelle position il veut prendre entre l’opposition qu’il combat, en reconnaissant ses griefs, et la majorité qu’il suit, tout en jugeant sévèrement ses actes. Il blâme les conservateurs de se détacher de la république; il les presse plus que jamais de se rallier, de prêter leur force aux modérés républicains, et il ne s’aperçoit pas qu’il offre à ces malheureux conservateurs de courir une aventure assez équivoque, de se livrer sans garanties, puisque les modérés républicains ont été mêlés à tout ce qui s’est fait depuis quelques années et qu’ils n’ont pu rien empêcher : ils n’ont été que les spectateurs impuissans d’une représentation parlementaire où on leur a demandé quelquefois leurs votes, sans s’inquiéter de leurs conseils.

Eh bien ! à parler franchement, il faut être modéré, il ne faut pas être dupe, et depuis quelques années, les modérés républicains ont joué fort honorablement, mais inutilement le rôle de dupes. Tant qu’on a cru avoir besoin d’eux pour établir la république, pour l’accréditer dans le pays, pour rassurer les opinions et les intérêts conservateurs, on les a ménagés, on les a même flattés; on leur a laissé la place d’honneur dans les premiers ministères républicains, et on ne s’est pas trop hâté de franchir la limite de la politique de modération qu’ils représentaient. Dès qu’on a cru pouvoir se passer d’eux, on les a sans façon mis à la retraite; on a paru les considérer comme des hommes de talent qui avaient fait tout ce qu’on leur demandait et qui ne répondaient plus aux circonstances. Les républicains ont voulu régner seuls. Bans partage avec leurs idées, avec leurs passions, avec leurs préjugés, avec leurs fanatismes, et c’est ainsi que le pouvoir est allé en quelques années de M. Dufaure à M. Brisson et à M. Allain-Targé, en passant par M. Waddington, par M. Jules Ferry, par M. Gambetta lui-même. C’est la vraie domination de l’opportunisme accompagné et mêlé de radicalisme ; c’est ce règne reconnaissable à ces traits caractéristiques :