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coquettement décoré de tous ses ordres, M. de Chateaubriand avait obtenu des rendez-vous plus intimes, que l’on se donnait dans des restaurons éloignés du centre de la ville, quelquefois à la campagne et jusque sur la route des Pyrénées, à Étampes. « A tous ces rendez-vous, M. de Chateaubriand se montrait parfaitement gai, dit Prudence, et très aimable, doux et tendre, et heureux comme un enfant. » Il se faisait chanter par sa jolie convive les chansons de Béranger : Mon Ami, la Bonne Vieille et le Dieu des bonnes gens. Ce fut l’inconstante Prudence qui, la première, rompit des nœuds si vite formés. Au mois d’août, elle partait pour Londres, tandis que son illustre compagnon s’établissait pour quelques mois à Cauterets. A Londres, elle n’avait pas beaucoup tardé à prendre pour objet de ses enchantemens un membre du parlement, M. Bulwer, dont l’originalité m’a toujours semblé assez contestable, car elle a consisté à vouloir imiter trois personnages très différens les uns des autres, mais pour lesquels il a successivement professé une égale admiration : lord Byron, le prince de Talleyrand et M. de Chateaubriand, dont, pour plus de ressemblance, il se trouvait devenir à ce moment le successeur.

A tout prendre, c’était bien la vérité que notre ambassadeur avait révélée à Prudence quand il lui avait écrit que le désir de rentrer au pouvoir était le motif déterminant de son retour à Paris.- Le ministre des affaires étrangères du cabinet Martignac, M. de La Ferronnays, avait donné sa démission ; M. de Laval-Montmorency, nommé à sa place, n’avait pas accepté ; le comte Portalis l’avait remplacé comme ministre intérimaire, puis définitif, mais on ne croyait pas qu’il fût bien solide dans son nouveau poste. En outre, le ministère était fort ébranlé depuis un mois par le rejet successif au corps législatif de deux projets de lois assez importans. Charles X parlait avec humeur de ses ministres. Il les faisait ou laissait attaquer par les feuilles royalistes dont il disposait. M. de Chateaubriand ne désespérait donc pas de voir le roi venir jusqu’à lui afin de se débarrasser de conseillère qui lui déplaisaient. On lui avait écrit à Rome que l’on avait entendu ces paroles sortir de la bouche de sa majesté : « Je ne dis pas que Chateaubriand ne sera pas mon ministre, mais pas quant à présent, ce n’est pas le moment… » Quel moyen employer pour hâter cet heureux moment ? Fallait-il rester tranquillement à Rome après ce grand succès de l’élection de son pape, afin de se donner l’apparence d’un homme nullement ambitieux, qui avait conscience d’avoir rendu un immense service et qui en attendait patiemment la récompense ? ou bien, cédant aux instances de quelques amis et à son propre penchant, fallait-il apparaître soi-même sur la scène, afin d’en imposer par sa présence ? Voilà les deux résolutions entre