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l’entend M. Vacherot a un tout autre caractère. Il est ouvert, il est libre ; il n’impose rien : il comprend les formes les plus nuancées et les plus variées ; et, ce qui le prouve, c’est que M. Vacherot s’y comprend lui-même, quoiqu’il ait depuis longtemps rompu avec l’orthodoxie de l’école. Or, devons-nous, par un rigorisme excessif, exclure du spiritualisme celui qui en accepte le drapeau, parce que sur tel point plus ou moins grave, on pourrait avec lui diverger d’opinion ? Devons-nous imiter les protestans orthodoxes, qui disent aux libéraux : « Vous n’êtes plus des protestans, vous n’êtes plus même des chrétiens : allez rejoindre les libres penseurs. » Il nous semble que celui qui se dit chrétien (à moins qu’on ne le suppose un menteur) l’est par cela même. Par la même raison, celui qui se dit spiritualiste l’est en effet. Autrement, il mentirait ou ne saurait ce qu’il dit : ce que personne ne peut supposer d’un esprit aussi éclairé et d’un caractère aussi élevé que le sont l’esprit et le caractère de M. Vacherot.

A la vérité, il reste à savoir quel sera le lien commun, quel sera le criterium de cette doctrine que l’on appellera du même nom, sous ses formes les plus variées. Peut-elle être à la fois une et plusieurs, être une doctrine et n’en être pas, avoir un drapeau, sans quoi son nom ne serait plus qu’un mensonge, et cependant se développer à la fois dans les sens les plus divers ? Si vous avez une doctrine, où est la liberté ? Si vous avez la liberté, où est la doctrine ? Cette objection se résoudra beaucoup mieux par l’histoire et par les exemples que par la théorie. Le XVIIe siècle est pour nous le siècle du spiritualisme, et il nous est la preuve que cette doctrine peut être à la fois une et variée. Qui niera, par exemple, que Descartes, que Malebranche, que Pascal et Leibniz ne soient tous les quatre des philosophes spiritualistes ? Et cependant combien leur philosophie est différente ! Descartes est mécaniste, Leibniz est dynamiste, Malebranche est idéaliste et Pascal est mystique. Encore ne s’agit-il ici que du spiritualisme chrétien. Si l’on élargissait le cadre, combien de plus nombreuses nuances seraient-elles possibles ! et un Plotin, malgré ses hypostases ; un Marc-Aurèle, malgré sa pauvre physique ; un Kant, malgré son criticisme, pourraient y trouver place. A une certaine hauteur, on sait que Platon et Aristote se réconcilient. Et cependant que de diversités et même d’oppositions entre ces deux grands maîtres ! Voilà bien des exemples qui prouvent que la liberté n’exclut pas l’unité. Ce qui est le principe commun de tous les spiritualistes, c’est de prendre dans la conscience et dans la pensée le type de l’être et de la vérité. Quelques-uns ne vont pas jusqu’au bout de cette pensée, et peut-être M. Vacherot est-il de ceux-là ; ils ne voient que la personne humaine et laissent le reste dans l’obscurité ; d’autres, au contraire,