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deux formes de l’inconditionnel, non-seulement différentes, mais opposées, quoique toujours confondues : l’infini et l’absolu. L’un n’est pas plus compréhensible que l’autre ; aucun d’eux n’a de raison d’être que l’impossibilité de son contraire. L’un et l’autre sont exclus par cette raison commune que la loi de toute connaissance est le relatif et le fini : « Penser, c’est conditionner. » Par cette critique, Hamilton supprimait complètement le rôle régulateur que Kant avait encore conservé à la notion d’absolu. En même temps, il prétendait retrouver par la croyance ce qu’il détruisait par la science ; et même ce n’était pas sans quelque arrière-pensée de sauver les mystères chrétiens que les philosophes de cette école, notamment M. Mansel, insistaient énergiquement sur l’incompréhensibilité de Dieu.

Quel fut maintenant le point de vue de M. Vacherot, par rapport à ces deux conceptions, celle de Kant et celle d’Hamilton ? Il ne soulevait pas, ou plutôt il résolvait dogmatiquement contre Kant le problème de l’objectivité ; il rejetait, et peut-être même n’examinait-il pas assez la critique d’Hamilton contre les notions d’infini et d’absolu. Il conservait ces deux notions ; mais, ce qu’Hamilton n’avait pas fait, il concentrait sa critique sur une troisième idée qui n’est ni celle d’infini, ni celle d’absolu, mais celle d’être parfait, que l’on n’avait jamais nettement dégagée des deux autres. Le sens de sa critique peut être entendu ainsi : Quand même vous auriez raison de Kant et d’Hamilton, quand même vous admettriez l’objectivité en général de l’être en soi, et en particulier de l’infini et de l’absolu, vous n’auriez pas prouvé par là même la réalité de Dieu, comme on le croit dans l’école : car Dieu n’est ni l’absolu, ni l’infini ; il est le parfait. Est-ce que le monde d’Épicure n’est pas infini ? Est-ce que les atomes ne sont pas absolus ? Est-ce qu’une matière universelle et unique n’est pas infinie et absolue, puisqu’elle n’a ni commencement, ni fin, ni forme dans l’espace, ni cause qui la produit, ni agent extérieur qui la modifie ? La théologie se distingue de la métaphysique. La vraie question théologique n’est pas celle de l’existence de l’absolu, mais de l’existence du parfait. Les cartésiens ont donc eu raison de définir Dieu l’être pariait ; s’il n’est pas parfait, il n’est pas. Mais l’être parfait peut-il exister ? voilà la question.

Pour M. Vacherot, la perfection est par essence incompatible avec l’existence. Perfection est un terme qui s’applique aux attributs, aux qualités d’un être, considéré dans son essence, dans son idée, abstraction faite de son existence. C’est un modèle que nous construisons avec les élémens de la réalité. Par exemple, la réalité nous donne des cercles ; mais le cercle parfait qui est la vérité du cercle réel n’existe cependant pas : il n’existe que dans notre esprit.