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conclure pour l’existence de son objet. Personne ne nie qu’en faisant de ses idées des êtres, Platon n’ait réalisé des abstractions. Pourquoi en serait-il autrement de l’idée de Dieu, de l’idée de l’être parfait ? L’auteur condamne le fameux argument de saint Anselme. Il nie que notre raison conçoive l’être parfait avec la même nécessité que nous concevons que tout phénomène a une cause : « Le métaphysicien réalise donc une abstraction, comme le géomètre qui aurait la pensée de transporter ses figures idéales dans le domaine de la réalité. » L’auteur persiste à opposer la vérité et la réalité, l’essence et l’existence : « Qui dit perfection, dit idéal ; qui dit idéal dit une pensée pure, un type supérieur à toutes les conditions de la réalité… S’il existe des êtres supérieurs à l’homme dans la série des êtres intelligens, on aura beau remonter plus haut, on ne rencontrera jamais la perfection absolue. »

On voit que notre auteur reste fidèle à lui-même et à son ancien programme. Pas de transcendance ; pas d’être parfait. Voilà ce qu’il n’a pas changé dans sa doctrine ; voyons maintenant, s’il y en a, les points sur lesquels sa pensée s’est renouvelée.

Nous remarquerons d’abord que, dans son récent ouvrage, M. Vacherot parait avoir renoncé à la théologie idéale, à laquelle il attachait dans sa philosophie antérieure une très sérieuse importance. Il dit bien encore que l’être parfait est un idéal ; mais il ne parait plus croire que cet idéal puisse tenir lieu de la réalité. Il avoue ce qu’il y avait d’étrange, au moins dans la forme, à, admettre en quelque sorte deux Dieux : « un Dieu parfait qui n’est pas vivant, et un Dieu vivant qui n’est pas parfait. » Il désavoue cette sorte d’hymne à l’idéal, dont nous avons cité plus haut quelques lignes, et qu’il dénonce maintenant comme une ancienne illusion. « J’ai longtemps cherché Dieu dans la catégorie de l’essence : j’ai gardé moi-même longtemps cette illusion… Alors même que ma pensée s’est détachée de l’abstraction que je prenais pour la suprême réalité, j’ai fini un chapitre d’un de mes livres par un hymne à l’idéal… J’abrège (ajoute-t-il après avoir cité cet hymne) cette interminable élévation de mon âme, éprise de l’idéal jusqu’à l’ivresse. » Il est évident qu’ici M. Vacherot appelle du nom d’illusion, non-seulement la croyance que l’être pariait est une réalité, mais encore la croyance que l’idéal est Dieu, le seul Dieu, qu’une catégorie de la pensée peut jouer sérieusement le rôle de Dieu, et donner satisfaction à la conscience religieuse. En désavouant cet hymne éloquent, ou du moins en le reléguant dans le passé, en accordant qu’il a mérité, au moins pour la forme, le reproche de contradiction par son hypothèse des deux Dieux, l’un réel, qui n’est pas parfait, l’autre parfait, qui n’est pas réel, il nous semble que M. Vacherot reconnaît, par cela même, que de deux choses l’une : ou il faut chercher Dieu dans la