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que Jeanne en put recevoir. Mais, sans aucun doute, si le sentiment des souffrances que la guerre apporte, si la haine qu’inspire la vue du conquérant maître du sol natal avaient suffi pour donner un sauveur à la France, il serait né partout ailleurs. »

Les lignes qui précèdent sont la meilleure justification des développemens où nous nous proposons d’entrer. Si des écrivains aussi judicieux que MM. Quicherat et Wallon ont cru devoir rechercher quelle était la situation des habitans de la vallée de la Meuse pendant les années qui ont immédiatement précédé la mission de la vierge de Domremy, n’a-t-on pas le droit d’en conclure que la question est intéressante au point de vue de l’histoire de Jeanne d’Arc ; mais si des critiques aussi compétens sont arrivés à des conclusions différentes, n’y a-t-il pas lieu de procéder à de nouvelles investigations ? C’est le résultat de ces investigations que nous allons exposer sous la forme la plus sommaire.


I

Aux XIVe et XVe siècles, la châtellenie de Vaucouleurs, enclavée entre la seigneurie de Commercy au nord, le Barrois à l’ouest et au sud, la Lorraine à l’est, comprenait un certain nombre de villages échelonnés sur la rive gauche de la Meuse, le long de l’antique voie romaine de Langres à Verdun. Au commencement du XIVe siècle, la châtellenie de Vaucouleurs appartenait à une branche cadette de l’illustre famille champenoise des Joinville. Le 15 août 1335, Jean de Joinville, seigneur de Vaucouleurs, conclut un arrangement avec Philippe VI de Valois en vertu duquel il céda cette châtellenie au roi de France en échange de Méry-sur-Seine, de divers droits sur la prévôté de Vertus, de la seigneurie de Lachy et de quatre vignobles situés à Bar-sur-Seine. Trente ans après l’échange conclu avec Jean de Joinville, le 4 juillet 1365, Charles V rendit une ordonnance portant que le château et les villages échus aux Valois par suite de cet échange feraient désormais partie intégrante du domaine royal et seraient rattachés inséparablement, irrévocablement et directement, à la couronne de France ; les habitans de Vaucouleurs se trouvèrent ainsi élevés à la dignité de bourgeois du roi et investis en cette qualité de nombreuses et importantes prérogatives. Ils ne furent pas moins favorisés au point de vue des avantages commerciaux. Tout le transit des marchandises exportées du bailliage de Chaumont en Lorraine et dans l’empire dut se faire par le port de Vaucouleurs, où deux fonctionnaires royaux, le maître et le receveur des ports, percevaient un droit, dit « de rêve, » consistant en un prélèvement de 4 deniers pour livre sur les denrées menées hors