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confesseur qu’on l’avait tourmentée violentement en sa prison, molestée, bastue et deschoullée et qu’un millourt anglais l’avait forcée ! » Comment Shakspeare n’eût-il pas tenu compte de tous ces dires ! Mettons-nous à sa place, il était Anglais dans l’âme, il travaillait sur des documens anglais pour un public anglais : comment sa conception d’un pareil sujet serait-elle autre que celle de son peuple alors que, même à ne consulter que l’histoire, ce sujet se présentait à lui sous les deux espèces du bien et du mal ?

Jeanne d’Arc, en effet, a double vie ; dès l’origine des choses, s’étend au-dessus d’elle une double influence de paganisme et de christianisme dont elle ne se défera plus jamais : cet arbre des fées plein de sortilèges, placé près de la chapelle, et dont l’ombre la berce endormie pendant que des voix lui parlent, cette source que hantent les sirènes et qu’elle écoute bruire en filant au frais sa quenouille, ne dirait-on pas les deux principes apostés là dès le commencement à cette fin de fournir plus tard à la discussion des armes pour et contre ? Secours du ciel ou de l’enfer, miracle, en deçà du canal, sortilège au-delà !

Le merveilleux ! Mais il n’y a que cela dans cette histoire ; elle est la vierge de délivrance promise depuis des siècles ; sainte Brigitte de Normandie, sainte Catherine de Sienne l’ont annoncée et comme il faut toujours que la magie s’amalgame au sujet, le vieux Merlin, du fond de sa nécromancie, l’avait prédite. Sans prétendre, en aucune façon, me piquer de théologie, il m’a toujours paru que, même en dehors de la raison politique, cette circonstance a dû compter aux yeux de l’église pour empêcher la canonisation officielle. Tout le monde sait que l’évêque d’Orléans en avait fait sa cause et que son zélantisme n’a rien produit. Cela devait être ; nous admirons et vénérons Jeanne d’Arc, elle est pour nous plus qu’une sainte, mais il nous faut bien aussi tenir compte des scrupules qui conseillent aux âmes croyantes l’abstention en présence du double courant où cette grande mémoire fut et sera toujours ballottée. Il y a du louche et de l’oblique, et comme si ce n’était pas assez du renom de magicienne qui l’atteignit dans le passé, voici maintenant que les clubs révolutionnaires s’emparent d’elle et vont achever de la compromettre.

À peine elle arrive à la cour, le surnaturel l’accrédite. Quatre mots à l’oreille du dauphin ont suffi pour attester son caractère prophétique. Toutes ces histoires de visionnaires se ressemblent, vous trouverez la même scène dans la Catherine d’Heilbronn d’Henri de Kleist. À ne nous occuper que de Jeanne et de sa première révélation : « Je viens, dit-elle, t’apprendre de par Dieu mon Seigneur que tu es vraiment fils du roi et, de ce chef, héritier du royaume. » Comment le sait-elle ? Qui l’informa des doutes secrets que le jeune