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prince nourrit sur la légitimité de sa naissance ? Qui ? Vous demandez qui ; et l’un vous répond : C’est le ciel ; l’autre : C’est l’enfer, un troisième : C’est le magnétisme ; ce dernier, un enfant du siècle qui jure in verba magistri et se croit nécessairement beaucoup plus fort que les deux autres. Maintenant, si vous pouvez, tirez-vous de là. Ce qu’il y a de certain, c’est que le merveilleux reste inhérent à ce sujet ; quoi que vous fassiez, vous ne l’en ôterez pas, il est là, comme ces végétations dont se festonne une tour séculaire ; essayez de les arracher, vous dégradez le monument. Aujourd’hui tout mysticisme nous répugne et nous avons nos frénésies en sens inverse, je devrais plutôt dire : nos dadas ; cette idée, par exemple, d’enlever à Jeanne d’Arc son nimbe d’or et de la coiffer en cadenettes à la mode des volontaires de 92.

J’ai relu, au cours de cette étude, bien des vieux livres dont on ne veut plus, celui de Guido Görres nommément. Eh bien ! je défie le plus sceptique de sortir d’une pareille épreuve sans un certain trouble. L’auteur est un croyant, je vous l’accorde, mais beaucoup moins suspect d’illuminisme qu’on ne l’assure, et d’ailleurs, aux documens qu’il cite, que répondre ? Parmi ces pièces très nombreuses, il en est une concernant la blessure que Jeanne reçut au siège d’Orléans, et dont, en dehors du cercle de la cour, plusieurs, parait-il, furent informés d’avance, entre autres, un gentilhomme flamand qui, dans une lettre écrite de Lyon à l’un de ses amis, prédit l’événement : « Ici, comme dans la révélation au dauphin, comme dans toute l’histoire de la Pucelle, se manifeste l’action indéniable de la Providence et le ferme propos de confondre les incrédules. » Ce gentilhomme s’appelait le sire de Rostlaër ; il mande qu’à la cour du roi Charles se trouve en ce moment une jeune fille qui s’est engagée à délivrer Orléans, annonçant qu’elle-même sera blessée dans une des sorties, mais qu’elle n’en mourra pas, que le roi sera sacré à Reims, l’été prochain, et bien d’autres choses dont le roi seul a connaissance. Or, cette lettre est datée de Lyon, le 22 avril, et c’est seulement quinze jours plus tard, le 7 mai, que Jeanne fut blessée. Les archives de Königsberg en Prusse possèdent aussi un document qu’on suppose avoir été adressé à François Sforza, duc de Milan, et contenant d’intéressans détails sur la physionomie de la Pucelle : « Avenante de figure, apte aux exercices masculins, et d’une étonnante justesse de jugement. Elle parle peu, mais d’une voix claire et féminine, et déteste les grands discours. Les belles armures, les beaux chevaux richement caparaçonnés sont ce qu’elle aime ; patiente, endurante, infatigable, gaie à la peine et capable de rester six jours et six nuits sous le harnois sans autre nourriture qu’un peu de pain trempé de vin et d’eau. Au combat, son entraînement ravissait des milliers d’âmes, sa lumière éclairait