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plus grands triomphes et qui a déployé dans le centre de l’Asie des qualités si remarquables pour le gouvernement des races musulmanes, la Russie, n’a pas sensiblement augmenté son influence en Bulgarie, où une ingérence maladroite et parfois brutale dans les affaires intérieures du pays a plutôt diminué l’immense popularité dont elle jouissait au lendemain de la guerre de délivrance. L’Autriche-Hongrie, au contraire, malgré les défauts de ses mœurs administratives, qui lui ont valu dans le passé tant d’amères déceptions, est parvenue très rapidement à pacifier l’Herzégovine et la Bosnie, à y faire régner l’ordre, à y introduire une organisation appropriée aux conditions sociales et économiques des deux provinces. Nous voudrions raconter ici comment elle a résolu la question religieuse, la plus difficile à résoudre de toutes, dans ces régions où la religion se confond avec la nationalité et avec la race. On verra par quelle tolérance, par quelle entente de la liberté, par quel respect de tous les droits, elle est parvenue, en si peu d’années, à se rendre favorables des populations qui l’avaient accueillie avec des sentimens de violente colère. Ce n’est pas un spectacle sans intérêt que celui de cette œuvre de conciliation et de libéralisme entreprise et menée à bonne fin par les successeurs de Metternich et du gouvernement qui représentait jadis la compression à outrance. On disait sous l’empire : « La liberté comme en Autriche ! » On va voir que ce mot est plus vrai que jamais, puisque l’Autriche ne se contente pas de jouir de la liberté chez elle, mais s’empresse de la répandre partout où s’étend sa domination. Et peut-être cette leçon ne sera-t-elle pas sans profit ? Nous avons désappris, depuis quelques années, à respecter et à ménager les influences religieuses. Nos chambres refusent de donner des traitemens aux évêques d’Algérie, qui sont pourtant les seuls agens capables d’exercer une action efficace sur les populations espagnoles et italiennes de jour en jour plus nombreuses dans notre grande colonie, tandis que certains de nos officiers détruisent les tombeaux des marabouts et font violence aux croyances musulmanes des indigènes. Notre intolérance dit, comme au siècle dernier : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » Voyons quels résultats l’Autriche-Hongrie a obtenus par une politique différente.


I

Le problème religieux était beaucoup plus compliqué en Herzégovine et en Bosnie qu’en Tunisie. En Tunisie, l’islamisme règne seul ; car il ne faut pas compter les israélites, dont les prétentions sont modestes, et le christianisme n’est représenté dans notre