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Laclos, Restif de la Bretonne, Louvet, Mme de Staël, Mme de Genlis, et le reste… je n’ai presque point de notes à prendre… Sur les organes vitaux de la société, sur les règles et les pratiques qui vont provoquer une révolution, sur les droits féodaux et la justice seigneuriale, sur le recrutement et l’intérieur des monastères, sur les douanes de province, les corporations et les maîtrises, sur la dîme et la corvée, la littérature ne m’apprend presque rien. » Mais, franchement, M. Taine croit-il que ce soit là le rôle de la littérature, et surtout du roman ? Eh non ! sans doute, l’auteur des Liaisons dangereuses ni celui des Egaremens du cœur et de l’esprit ne nous ont transmis aucun document ! sur « les droits féodaux « ou sur « les douanes de province ; » mais aussi pourquoi M. Taine leur en demande-t-il ; je veux dire à quel titre, et au nom de quelle esthétique du roman ? S’est-on jamais avisé d’aller chercher dans Racine des renseignemens sur « le système protecteur » ou dans Molière des informations sur « l’inscription maritime ? » M. Gaston Paris me fournit un autre exemple, d’un autre genre, de cette même indifférence au prix esthétique des œuvres littéraires. Il se trouve avoir à citer quelque part un couplet d’une Ballade de Villon, la Ballade à la Vierge, que Villon, comme l’on sait, composa pour sa mère.


Femme je suis, pauvrette et ancienne ;
Qui rien ne sais, oncques lettre ne lus,
Au moustier vois, dont suis paroissienne,
Paradis point où sont harpes et luths,
Et un enfer où damnés sont boullus.
L’un me fait peur, l’autre joie et liesse,
La joie avoir fais moi, haute déesse
À qui pécheurs doivent tous recourir,
Comblés de foi, sans feinte ni paresse.
En cette foi je veux vivre et mourir…


Qui croira que M. Gaston Paris ait remplacé ces admirables vers, qui comptent parmi les plus beaux de Villon, et qui sont, pour la justesse avec la naïveté du sentiment, au nombre des plus heureux de la langue, par cette traduction en prose : « Je suis une pauvre femme, faible et vieille, je ne sais rien, jamais je ne lus lettres. Je vois à l’église dont je suis paroissienne de belles peintures : d’un côté le paradis, où sont des harpes d’or ; d’autre part l’enfer, où les damnés brûlent. L’un me fait peur, l’autre m’éblouit. Fais moi avoir le joyeux paradis, dame des deux, reine de la terre. » Là dessus, pour ne pas embarrasser ces quelques pages d’un excès de citations, n’est-ce pa » M. Renan à son tour qui nous donnait le dernier mot de cette indifférence, quand il disait, tout récemment, à M. de Lesseps : « Vous avez horreur de la rhétorique, Monsieur, et vous avez bien raison. C’est, avec la